Il y a 50 ans Xavier Vallat rendait sa belle âme à Dieu

Il y a 50 ans Xavier Vallat rendait sa belle âme à Dieu


Il y a 50 ans, le 6 janvier 1972 disparaissait à Annonay (Ardèche), Xavier Vallat. C’était le Jour des Rois, comme il convenait à cette âme de vaillant serviteur de la cause capétienne. C’est avec émotion que je rends hommage à ce compagnon de captivité de Charles Maurras, qui fut aussi un grand politique et un grand écrivain et qui, bien que mon aîné de plus de cinquante ans, m’honorera, au cours de mes bien lointaines jeunes années sur notre terre commune et tant aimée du Vivarais (département de l’Ardèche), d’une amitié dont je mesure encore chaque jour tout le prix.

                                                                                          L’âme du Vivarais         

Bien que né le 23 décembre 1891,par suite des hasards des nominations de son père maître d’école, à Villedieu, petit village de Provence, Xavier Vallat appartenait à une solide lignée paysanne implantée à Pailharès, en haute Ardèche. En lui je voyais s’irradier l’âme ardente, passionnée, courageuse, que le contact familier avec un sol âpre et avare ramène sans cesse aux réalités. Comme pour tous les grands sages du Vivarais, comme pour jadis Olivier des Serres, comme pour son contemporain et ami Gustave Thibon, le patriotisme était chose concrète, sentie, charnelle et trouvait tout naturellement sa plus haute expression dans la fidélité à son père, à un être de chair et de cœur, héritier d’un domaine à faire prospérer, en somme dans la fidélité au roi de France. Enfin il avait hérité du catholicisme de ses ancêtres (“Catholique et français toujours”) sans cesse ravivé par les humbles pèlerinages qui parsèment les monts où vint mourir, après les avoir rechristianisés, entre d’impressionnantes forêts de sapins le 31 décembre 1640, à la Louvesc, le grand saint Jean-François Régis…..

Cette personnalité si riche de sève, de caractère et d’âme, était douée d’une franche gaieté et d’une verve de bon aloi, comme en témoignent les contes qu’il publia en 1923 aux Editions du Pigeonnier fondées par son ami d’enfance le délicieux poète Charles Forot. Vallat se mit très tôt au service de la France. Dès la Grande Guerre sa conduite fut celle d’un héros: revenu deux fois au front après avoir été blessé, il dut le 30 mai 1919 dans la Somme être amputé d’une jambe dans d’atroces souffrances. Mais conscient de ne faire que son devoir, il garda toujours un optimiste communicatif. Les électeurs de la circonscription de Tournon-Annonay le désignèrent le 16 novembre 1919 comme député sous le signe de l’Union sacrée. Réélu en 1928, devenu en janvier 1940 vice-président de la Chambre des députés, il ne cessa de lutter contre l’individualisme athée. Il était alors l’orateur talentueux de la Fédération nationale catholique, mais il gardait des relations toujours cordiales, même enjouées, avec ses collègues députés de tous bords.                                                                                     

                                                                                            La question juive 

Pragmatique plutôt qu’idéologue, il prit conscience d’un problème juif comme beaucoup de Français au fur et à mesure que grandissait l’influence de cette communauté dans les années 1930. Dans son livre point du tout complaisant mais honnête et intelligent, consacré à Xavier Vallat. Du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’Etat (Grasset 2001), Laurent Joly reconnaît que son discours du 5 juin 1936 déplorant qu’avec Léon Blum “pour la première fois ce vieux pays gallo-romain (serait) gouverné par un juif” ne déclencha guère de réactions hostiles dans l’opinion. Vallat, explique Laurent Joly, voyait la question juive comme un aspect d’un danger autrement plus grave: le péril communiste. Il lui apparaissait que les Juifs, par leur appartenance au peuple élu, étaient avides de domination et des biens de ce monde et pouvaient faire le lit autant de “la fortune anonyme et vagabonde” que de l’esprit de dilution et de révolution, ce que disait d’ailleurs aussi l’israélite Bernard Lazare.
Et dans une démocratie qui ne cesse d’émietter la société, il lui apparaissait que cette communauté pouvait facilement devenir un Etat dans l’Etat. Survint la débâcle de 1940, Vallat se retrouva tout naturellement aux côtés du maréchal Pétain qui, face à une guerre que d’autres avaient voulue et si mal préparée, agissait courageusement pour épargner aux Français les pires malheurs. En tant que secrétaire général des Anciens combattants ou fondateur de la Légion française des Anciens combattants destinée à opérer le redressement civique et moral de la France, ou encore en tant que Commissaire général aux questions juives, ou en tant que rédacteur d’un statut des juifs, jamais Vallat, héritier des plus hautes traditions catholiques et françaises, ne montra une attitude de soumission envers l’Occupant national-socialiste qui en vint à exiger son départ le 19 mars 1942. Laurent Joly, qui ne tombe pas dans le travers de ceux qui jugent les comportements de 1942 en fonction d’une “Solution finale” dont on n’entendit parler qu’en 1945, relève les efforts qu’accomplit Vallat en faveur des juifs anciens combattants de même que sa véhémente protestation après la rafle de décembre 1941, de même que les conseils insistants de prudence qui permirent à son ami juif le docteur Nora d’en sauver plusieurs milliers.


L’Action Française 

 

1944 : victoire de la bêtise, du mensonge et de la haine. Vallat qui venait de prendre, à Radio-Journal, la succession de Philippe Henrio assassiné, fut arrêté en août. Traîné de prison en prison, il s’entendit condamné le 10 décembre 1948 par la Haute Cour à dix ans d’emprisonnement et à l’indignité nationale. Les “libérateurs” traitaient ainsi ceux qui, lors de la tourmente, n’avaient pas fui leurs responsabilités. Mais les occasions de servir allaient encore se présenter. A la maison centrale de Clairvaux, il retrouva son ami Charles Maurras, et naquit entre les deux hommes faits pour s’attirer et se comprendre une amitié extraordinaire, si bien qu’à sa libération en mars 1950, par une grâce signée Vincent Auriol, président de la République, Vallat devint le collaborateur assidu d’Aspect de la France créé trois ans plus tôt. En 1960, il en assurait la codirection avec Georges Calzant. A la mort de ce dernier, en 1962, il en devint le directeur et commença, pour cet ami du président Antoine Pinay et de bien d’autres hommes politiques en exercice, une période d’activité intense.
Installé alors à Annonay, il venait chaque semaine à Paris, et sa chronique sereine, joviale, nourrie de vastes connaissances, n’avait d’égale que le charme de sa conversation. C’était pour le journal qui ne pouvait pas encore s’appeler L’Action Française, la période faste de Pierre Chaumeil, Bernard Faÿ, Henri Massis, Jacques Perret, Louis-François Auphan, Philippe Roussel, François Léger, Jacques Ploncard d’Assac, Jean Brune… Mais la santé de Vallat s’altéra vite. 

Au début de 1966 il céda sa charge à Pierre Pujo tout en restant directeur honoraire. Il occupa ses dernières années à ajouter à une oeuvre littéraire déjà bien fournie:

– Charles Maurras n° d’écrou 8321 (Plon,1953),
– Le nez de Cléopâtre (Les Quatre fils Aymon,1957),
– La Croix,les Lys et la peine des hommes (Les Quatre fils Aymon,1960),
quelques autres ouvrages de souvenirs:

– Lettres passemurailles,
sa correspondance avec Maurras de mars 1950 à novembre 1952 (La Table Ronde,1966),
– Feuilles de Fresnes 1944-1948 (Lienhart,Aubenas,1971) et,
– Le grain de sable de Cromwell (Lienhart,Aubenas,1972).

Revenons sur La Croix, les Lys et la peine des hommes, son livre essentiel (réédité en 1982 avec une préface de votre serviteur par les éditions Ulysse à Bordeaux) où il montre le parfait accord entre les encycliques pontificales, les déclarations des princes et les actions des élus catholiques et monarchistes sur la question sociale, aussi loin du libéralisme effréné que du socialisme concentrationnaire. A le lire, plein de compassion pour la “misère imméritée” des travailleurs consécutive à la Révolution dite française, on voit l’erreur de ceux qui parlent de Vallat comme de l’homme d’une idée fixe, obnubilé par la seule question juive.

Hospitalisé au cours de l’été 1971, il s’éteignit dans la sérénité et dans une parfaite confiance en Dieu à l’hôpital d’Annonay. Il repose dans une tombe toute simple au cimetière de Pailharès (Ardèche), à l’ombre de son église paroissiale où il avait appris à défendre l’Eglise de l’Ordre.

Michel FROMENTOUX

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Léon Daudet, figure rabelaisienne de l’Action française

Léon Daudet, figure rabelaisienne de l’Action française

 

Cet homme fut le personnage le plus haut en couleurs de l’Action française. Exubérant, colérique, fantasque, porté à la polémique, bon vivant, et avec cela, écrivain de grand talent, il ne passa pas inaperçu, à moins dire. D’un tempérament très différent de celui de Charles Maurras, il s’entendit cependant parfaitement avec ce dernier, et imprima sa marque particulière au mouvement néo-monarchiste de la rue de Rome. Il avait cependant en commun avec Maurras d’être doté d’un caractère entier et de charger violemment contre ses ennemis.

Enfant des lettres

Né à Paris le 16 novembre 1867, Léon Daudet est le fils aîné d’Alphonse Daudet (1840-1897). Et son oncle, Ernest Daudet (1837-1921), sera, en son temps, un historien et un romancier réputé. Il grandit donc dans une forte ambiance intellectuelle, et acquiert une vive sensibilité littéraire et une très riche culture, au contact de l’atmosphère des brillantes réceptions organisées à domicile par son père, qui invite les écrivains parisiens de l’époque. Très tôt, il a la passion des livres, qu’il dévore goulûment, et de l’écriture. Il voit défiler, au domicile parental, Flaubert, Maupassant, Edmond de Goncourt, Zola, Maurice Barrès et autres. Les Daudet ont des inclinations républicaines, bien qu’Alphonse ait bénéficié de la protection du duc de Morny, dans sa jeunesse1 . Victor Hugo est une de leurs idoles. Et c’est ce qui explique que Gambetta ait compté quelquefois parmi leurs invités.

 

Léon, jeune, se sent lui aussi républicain, proche des radicaux à la Pelletan ou à la Clemenceau. Il se moque des monarchistes, qui lui paraissent les partisans ridicules d’un monde révolu, et il hue le général Boulanger lorsque celui-ci fait son entrée à la Chambre en juillet 1888. Il découvre également l’antisémitisme, à la faveur de l’amitié entre son père et Drumont.

Médecin avorté et écrivain naissant

Après de brillantes études au lycée Louis-le-Grand, il opte pour des études médicales. Il rencontre Jean-Martin Charcot, le fameux neurologue. Ce dernier est un des médecins de son père, atteint de syphilis depuis longtemps. Très bon étudiant, prometteur, Léon sera pourtant recalé au concours de l’internat de Paris en 1891, et ne soutiendra pas sa thèse de doctorat. Il attribuera son échec à la malveillance de Charcot, à la fille duquel il avait refusé de se fiancer2 . Il renonce donc à la carrière médicale, mais sans trop de regrets, car la littérature l’accapare. Il fait paraître son premier roman, L’Héritier, sous la forme d’un feuilleton, dans La Nouvelle Revue de Juliette Adam, en 1892. Son expérience du monde médical lui inspirera un roman, Les Morticoles (1894), acerbe.

Un premier mariage raté

Au début de 1891, il épouse Jeanne Hugo, petite-fille de Victor. Le mariage sera civil, Hugo ayant proscrit le mariage religieux au sein de sa famille, qu’il gouvernait en patriarche. Ce mariage sera un véritable fiasco. Léon se montre autoritaire, coléreux, et, lorsqu’il s’emporte, injurieux. Jeanne, de son côté, se révèle une femme capricieuse et folle furieuse lorsqu’elle se sent contrariée. En outre, Léon, qui devient chaque jour plus réactionnaire et antisémite, n’apprécie pas, à moins dire, Édouard Lockroy, républicain radical, juif, député, et bientôt ministre, beau-père de Jeanne depuis le remariage de la mère de celle-ci. Jeanne quitte le domicile conjugal en décembre 1894. Le divorce sera prononcé en janvier 1895, et Jeanne conservera la garde des enfants3 .

Nationaliste et antidreyfusard

Le 5 janvier 1895, Léon, accompagné de Barrès, assiste à la séance de la dégradation du capitaine Dreyfus, récemment condamné, dans la cour de l’École militaire. Le lendemain, il rend compte de l’événement dans un article du Figaro intitulé « Le Châtiment », hostile au condamné, mais exempt de tout antisémitisme avoué : on n’y relève aucune allusion aux Juifs (le mot même n’apparaît pas dans le texte). Cependant, l’antisémitisme sourd de l’emploi de certaines expressions ou de certaines phrases (« épave de ghetto », « Le misérable n’était pas français. Nous l’avions tous compris, par son acte, par son allure, par son visage »). Léon affiche désormais des convictions nationalistes et antidreyfusardes qui le rapprochent de ceux qui partagent ses convictions (Bourget, Coppée, Lemaître, Barrès) et le font rompre avec les dreyfusards, Anatole France, et surtout Zola, à partir de 18984 . Le 19 janvier 1899, Il assiste à la première grande réunion publique de la Ligue de la Patrie française, à laquelle il adhère aussitôt. Il devient membre du conseil de rédaction du quotidien monarchiste Le Soleil (1899), et, à partir de 1900, du quotidien antisémite La Libre Parole et du quotidien conservateur Le Gaulois, trois périodiques auxquels il collaborait depuis déjà plusieurs années. Il va désormais donner des fournées d’articles contre les dreyfusards, le gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau, le ministère anticlérical de Combes, et le régime en général. S’il ne remet pas encore en cause la république, il critique violemment la démocratie parlementaire, et incline à un régime autoritaire, s’approchant ainsi des idées d’un Déroulède ou d’un Barrès, ou même de ce général Boulanger, qu’il avait hué en 1889. En 1901, il publie un pamphlet, Le pays des parlementeurs.

L’adhésion à l’Action Française

La Ligue de la Patrie française bat de l’aile. Le suicide de son homme fort, Gabriel Syveton, soupçonné à la fois d’une liaison coupable avec sa belle-fille et de détournements des fonds de la Ligue, dont il était le trésorier (décembre 1904), la plonge dans le chaos. Daudet qui, pour sa part, incline à croire, comme d’autres, au meurtre (déguisé en suicide) de Syveton, va s’éloigner de ce mouvement, si peu et mal organisé qu’il s’achemine vers sa fin. Il se tourne alors vers le groupe de « L’Action française », fondé en avril 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, et doté d’un bimensuel, la Revue d’Action française, à partir de juillet 1899. Là, il fait la connaissance de Charles Maurras, jeune écrivain déjà connu. Il découvre alors la pensée de celui-ci, et lit ses œuvres avec attention. Il lit Trois idées politiques (1898), Dictateur et Roi (1899), et surtout la grande Enquête sur la monarchie (1900-1903), qu’il n’en finira pas de relire et de méditer. Et, lui qui, naguère, moquait les tenants du monarchisme, il se convertit à la cause de la restauration de la royauté en France. En bon disciple de Maurras, il se prononce en faveur de la restauration d’une monarchie héréditaire de droit divin, fondée sur la religion catholique, non parlementaire, et décentralisée. Daudet était déjà nationaliste, anti-parlementaire et anti-démocrate, à l’exemple de son père et de presque toute sa famille5  ; le voici désormais, en outre, monarchiste. La conception maurrassienne de la monarchie lui plaît, car elle procède de la raison, du raisonnement, et qu’elle n’enkyste pas la pensée et les mœurs dans un moralisme jugé étroit et étouffant. En cela, elle coïncide avec son tempérament gaulois, son appétit de vivre et sa tendance à la gaudriole. Elle le séduit également par la jeunesse de la plupart de ses militants et animateurs, leur volonté d’assurer le triomphe de leur cause, et leur sens de l’offensive ; alors que les royalistes de naguère se présentaient comme de vieux gentilshommes ou des grands bourgeois conformistes, austères, politiquement inactifs, repliés dans la nostalgie d’un passé monarchique idéalisé. Cela dit, Daudet ne rejette nullement les caractéristiques du royalisme traditionnel : malgré ses frasques, il affiche sa foi catholique, défend l’Église et la religion contre l’anticléricalisme, et fustige l’immoralité et le pourrissement des mœurs (ce qui ne manque pas d’amuser ou de choquer ses adversaires, qui connaissent son genre de vie).

Maurras et Daudet : au service d’une même cause

Bien des traits de caractère le distinguent de Maurras. Il n’a pas le dogmatisme doctrinaire de son maître, prend parfois des libertés relativement à ses principes (notamment dans ses choix littéraires), et ne condamne pas systématiquement tout ce qui s’y oppose ou y est étranger. Ainsi, il ne rejette pas le romantisme, et lui trouve même des attraits et de la grandeur. C’est qu’il est fou de littérature, et qu’il met la valeur d’un écrivain ou d’un artiste au-dessus de tout. Il dira, un jour : « Quand il s’agit de littérature, la patrie, je m’en fous », propos impensable de la part de Maurras. Il défendra les œuvres d’un Gide ou d’un Proust6 , plus tard d’un Céline7 , ce que le chef de l’Action française n’envisagera pas une seconde. Mais il fait siennes les convictions du maître du nationalisme intégral. Et puis, du point de vue du caractère, il a en commun avec lui le goût immodéré de la polémique, la violence verbale, l’intransigeance politique, le rejet viscéral de la république et de la démocratie, et la haine de ses ennemis. Les deux hommes formeront donc un parfait duo à la tête de l’Action française, un tandem composé de deux brillantissimes plumes, tenues avec un étincelant brio par deux hommes différents : le fin lettré helléniste, amoureux de la Grèce antique et du monde méditerranéen, de la langue et de la littérature provençale, et un émule pittoresque de Rabelais.

Car les deux hommes sont avant tout des écrivains. Maurras s’est déjà imposé comme poète, critique littéraire, conteur et essayiste. Daudet, lui, s’est imposé comme un romancier fécond avec : L’Astre noir (1893), Les Morticoles (1894), déjà cité, et qui rencontra un beau succès, Les Kamtchatka (1895), Le Voyage de Shakespeare (1896), Suzanne (1896), La Flamme et l’Ombre (1897), Sébastien Gouvès (1899), La Romance du temps présent (1900). Et il est l’un des fondateurs et premiers membres de l’académie Goncourt, en tant que fils d’Alphonse Daudet, ami et exécuteur testamentaire d’Edmond de Goncourt. Il a soin d’en interdire l’accès à Zola, devenu son ennemi. Écrivain renommé dès avant trente-cinq ans (et pas seulement en raison de la célébrité de son père), il a, pour la littérature, une passion supérieure à celle qu’il éprouve pour la politique, et qui ne se démentira jamais.

La rencontre décisive avec Philippe d’Orléans

Proche de Maurras par les idées et le goût de l’outrance verbale et de la provocation, Daudet l’est aussi d’Henri Vaugeois par le caractère. Les deux hommes ont en commun un caractère difficile, qui les porte à la polémique, et une allure générale et un comportement bohèmes, qui choquent les conformistes. Une différence notable cependant : Vaugeois, longtemps pur rationaliste et sceptique, ne deviendra jamais un catholique fervent, ce que Daudet se targue d’être, malgré sa liberté de mœurs et de manières, et qu’il est effectivement, de par l’éducation reçue au sein de sa famille, très pieuse. Mais autre point commun avec Vaugeois : le besoin de rencontrer le prétendant à la couronne de France pour affermir une conversion récente à la cause du royalisme. Pour Vaugeois, la rencontre avait eu lieu en octobre 1901 à Karlsruhe. Pour Daudet, elle se produit en novembre 1904 à Londres, à l’hôtel Savoy. Habitué à la vie mondaine, mais pas à la fréquentation des altesses royales, Léon se montre intimidé, emprunté, engoncé. Lui, si volubile d’ordinaire, ne parvient qu’à bredouiller des paroles banales et décousues. Mais Philippe d’Orléans se fait accueillant et aimable, l’embrasse sur les deux joues et le prie à déjeuner. Léon reviendra de Londres émerveillé, définitivement conquis et monarchiste de cœur, alors qu’il ne l’était que de raison.

Un des piliers de l’Action française

Il devient l’homme le plus connu de l’Action française, presque à égalité avec Maurras, qui lui, joue le double rôle de maître à penser et de chef d’orchestre, omniprésent, animant avec autorité toute la mouvance du nationalisme intégral et néo-monarchiste.

Les deux compères pensent que leur mouvement ne peut se contenter de la modeste Revue d’Action française, fondée en 1899 par Vaugeois et Pujo, bimensuelle. Ils décident donc de se lancer dans l’aventure d’un quotidien qui, pensent-ils, en accroîtra sensiblement l’audience. Et, ainsi, ils fondent L’Action française, dont le premier numéro sortira le 21 mars 1908. Daudet est rédacteur en chef du nouveau périodique, Maurras est directeur de la publication. Vaugeois et Pujo appartiennent toujours à l’équipe rédactionnelle, et le second sera l’adjoint de Maurras à la direction du journal. Celui-ci réunit tout un bataillon de brillants intellectuels qui contribueront au rayonnement et au prestige de l’Action française, y compris parmi ses adversaires, lesquels seront conscients de la valeur de leurs ennemis, sous le rapport de l’intelligence, du sérieux des analyses et de la rigueur des raisonnements de leurs ennemis. Citons, parmi les plus belles plumes du quotidien : Léon de Montesquiou, Lucien Moreau, Jacques Bainville, Louis Dimier, Bernard de Vesins, Robert de Boisfleury, Pierre Lasserre, puis Henri Clouard, Eugène Marsan et autres8 .

Léon Daudet va multiplier à l’envi, durant des années, les articles critiques et polémiques dans les colonnes de son quotidien. Cela lui vaudra maints duels avec certaines de ses cibles, notamment — entre beaucoup d’autres — Gaston de Maizière, journaliste au Gaulois, en 1910, et Martin Nadaud, écrivain, l’année suivante.

Il ne borne pas son activité journalistique au seul domaine politique. Une bonne partie de ses articles sont consacrés à la critique littéraire, et, dans ce registre, il se révèle un lecteur averti et un analyste fin, subtil, pénétrant et original.

Un personnage haut en couleurs

Son personnage, qu’il se plaît lui-même à outrer, joue un rôle important dans sa renommée : Léon Daudet acquiert très vite la réputation, ô combien justifiée, d’un homme truculent, au verbe haut, grand mangeur et grand buveur, colérique et gouailleur. Il participe aux bagarres de rue qui opposent, notamment dans la Quartier latin, les étudiants d’Action française et les Camelots du Roi à leurs adversaires, ce qui le mène souvent au poste de police, où il passe quelquefois la nuit.

Toujours prolifique, il multiplie les romans : Les deux Étreintes (1901), Le Partage de l’Enfant (1905), Les Primaires (1906), Un sauvetage (1907), La Lutte (1907), La Mésentente (1911), Ceux qui montent, Le Lit de Procuste (1912), La fausse Étoile (1913). Les relations entre les personnes, leur complexité et leurs vicissitudes, les problèmes de couple, les sentiments, les émotions, sont au centre de ses romans, largement inspirés par ses propres expériences. Son hostilité à l’Allemagne, la guerre et la politique lui inspireront La Vermine du monde (1916, relatif à l’espionnage allemand), et Le Cœur et l’Absence (1917).

Il publie également des essais : L’Avant-guerre (1913), Contre l’esprit allemand. De Kant à Krupp (1915), Hors du joug allemand. Mesures d’après-guerre (1915), Le stupide XIXsiècle (1922). Mais il se montre un essayiste d’un niveau très inférieur à celui de Maurras, de Bainville ou de Montesquiou, trop polémique pour être profond, et incapable d’avoir la distance passionnelle indispensable à une saine analyse des faits qu’il étudie. Cependant, tous ses livres sont de véritables succès de librairie, et leur auteur est l’un des plus lus du premier quart du XXsiècle.

Les cibles politiques de Daudet sont nombreuses ; toutefois, sa favorite est Briand, symbole à ses yeux, de la “démocrassouille”, qu’il ne cesse de vilipender, tant dans ses articles que dans ses livres.

Durant la Grande Guerre9 , il s’attaque à tous ceux qu’il considère comme des traîtres ou, tout au moins, des saboteurs de l’effort de guerre national : l’anarchiste Miguel Almereyda, les anciens ministres Louis Malvy et Joseph Caillaux, Aristide Briand. Ses articles incendiaires exercent une influence certaine sur le gouvernement, et c’est en partie du fait des campagnes de Daudet que Almereyda, Caillaux et Malvy seront arrêtés. Ses outrances lui valent non seulement des duels et des haines solides, mais aussi des ennuis judiciaires, et il se voit condamné pour diffamation en 1920.

Député de Paris, le temps d’une législature

Au lendemain de la guerre, l’Action française semble à son zénith. Ayant soutenu sans réserve l’effort de guerre du pays et le cabinet Clemenceau, elle jouit, dans toute l’opinion publique et une grande partie de la classe politique, d’une faveur exceptionnelle (Poincaré la félicite). Aussi, ses dirigeants décident-ils de déroger à leur refus absolu des élections et de la démocratie parlementaire, et de présenter des candidats aux législatives des 16 et 30 novembre 1919, à Paris et dans une vingtaine de départements. Si bien que l’Action française anime bientôt à la Chambre un groupe de 29 députés, dits « Indépendants de droite », composé de quatre des adhérents de sa Ligue, de divers monarchistes plus ou moins proches d’elle, et de catholiques ralliés. Daudet est député de Paris, élu sur une liste « d’Action française et d’Union nationale », dans le XVIarrondissement. Comme on pouvait s’y attendre, il se montre véhément. L’Action française est alors à la croisée des chemins. Portée par la vague de l’Union sacrée des années de guerre et la victoire de 1918, elle a une position flottante vis-à-vis de la majorité de droite républicaine du Bloc national, louvoyant entre soutien (pour le maintien de l’ordre, la lutte contre les syndicalistes et la gauche socialiste et communiste, et les économies budgétaires) et critique (à l’encontre de la politique pacifiste de Briand, en 1921-1922). Elle hésite également entre la persévérance dans son attitude de rejet systématique de la république et son intégration de fait à la droite nationaliste républicaine, dans le sillage de Barrès, de Louis Marin et de la Fédération républicaine. Appréciées par presque toute la droite de l’hémicycle lorsqu’il fustige Briand, les attaques de Daudet ne le sont plus du tout quand elles visent Millerand, devenu le plus intransigeant des patriotes10 . Ses attaques contre les communistes, les syndicalistes et les banquiers, tous accusés de collusion contre les intérêts français, sous l’égide des capitalistes juifs, des francs-maçons et de l’URSS, lui sont vivement reprochées, et il se voit discrédité ; il ne retrouvera pas son siège de député lors des législatives de juin 1924.

Le temps des épreuves cruelles

 

 

Dès lors, Daudet entre dans sa période de déclin. Et les années qui suivent vont lui être particulièrement pénibles, l’amenant à affronter l’épreuve cruelle du deuil et de sérieux ennuis judiciaires.

Ces événements tournent autour de Philippe, fils né de son second mariage11 . Cet adolescent instable et fugueur, entretenant des rapports difficiles avec son père, tenté par l’anarchisme, fut trouvé tué d’une balle dans la tête, dans un taxi, le 24 novembre 1923. Bien qu’une enquête ait conduit au suicide, Léon veut y voir un meurtre. Ses actions judiciaires se révèlent infructueuses, et se terminent par un non-lieu. Il se lance alors dans une campagne de presse mettant en cause la police et le ministère de l’Intérieur. Condamné, en 1926, à 1 500 francs d’amende et cinq mois de prison ferme, il voit cette peine confirmée en appel. Après s’être barricadé dans les locaux de l’Action française, il se rend, à la demande de Jean Chiappe, nouveau préfet de police de Paris, et est incarcéré à la Santé dans des conditions déplorables12 .

Il n’y restera pas longtemps. Dès le 25 juin, deux Camelots du Roi, se faisant passer au téléphone pour le directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur et le ministre lui-même, ordonnent au directeur de la Santé sa remise en liberté, sachant se montrer très convaincants.

Le déclin

Daudet, libéré-évadé, se réfugie en Belgique, où sa famille le rejoint. Il bénéficiera d’une grâce du président Doumergue, le 31 décembre 1929, et sera de retour à Paris le 2 janvier 1930.

Il retrouve son poste de rédacteur en chef de L’Action française. Apparemment, rien n’est changé : il a toujours son bel appétit, multiplie les articles contre le régime et les ministères successifs, fustige le Front populaire, les Juifs et la haute banque, prend parti pour les franquistes durant la guerre d’Espagne13 , participe aux défilés de l’Action française, aux côtés de Maurras, Pujo, Réal del Sarte, Schwerer. Mais son monde s’écroule peu à peu. Et ce, depuis déjà un moment. Marius Plateau en 1923, Ernest Berger en 1925 sont tombés sous les balles de leurs ennemis politiques, le journal et divers livres de Maurras ont été condamnés par le pape Pie XI le 29 décembre 192614 , Maurras lui-même fait près de dix mois de prison en 1936-1937, et son mouvement, dont l’équipe dirigeante, vieillissante, n’est pas renouvelée, perd de son aura auprès de la jeunesse nationaliste, séduite par le fascisme. Daudet lui-même vieillit, connaît des problèmes de santé.

Au cours des années 1930, c’est encore en littérature que Daudet conserve toute sa force. Sa production ne faiblit pas. Le roman reste son genre favori ; il donne : L’amour est un songe (1920), L’Entremetteuse (1921), Sylla et son destin (1922), Le Drame des Jardies (1924), Le Napus, fléau de l’an 2227 (1927, œuvre futuriste), Le Cœur brûlé (1929), Les Bacchantes (1931), Un amour de Rabelais (1933), Médée (1935), Les Lys sanglants (1938). Critique littéraire averti, il publie, entre 1927 et 1929, huit volumes d’une série, Écrivaine et artistes, consacrés aux maîtres les plus fameux des lettres et des arts en France et à l’étranger. Il publie aussi des pamphlets : Le Nain de Lorraine (contre Poincaré), Le Garde des Sceaux contre Barthou), Le Nain de passage (contre Briand), tous livres parus en 1930. Il livre aussi ses mémoires et autres livres de souvenirs.

La fin

Lorsqu’ éclate à nouveau la guerre, en 1939, l’Action française n’est plus qu’un rafiot vermoulu et à la dérive, piloté par une brochette de vieillards dépourvus de successeurs. Au printemps 1940, la France est envahie et connaît sa plus cinglante défaite depuis le début du XVe siècle. La république s’effondre, et le maréchal Pétain instaure le régime de l’État Français. Comme Maurras, Daudet approuve ce changement, mais se sent trop patriote et anti-allemand pour s’en réjouir. D’autant plus que les Allemands saccagent les locaux de l’Action française et interdisent beaucoup de livres de Maurras. Ce dernier se voit contraint d’installer, dans des conditions précaires, son journal à Lyon. Daudet reste à ses côtés avec Pujo. Puis, malade, il se retire dans sa propriété de Saint-Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, où il reçoit d’ailleurs la visite de Maurras. Il succombera à une hémorragie cérébrale le 30 juin 1942, âgé de presque 75 ans. Il est inhumé au cimetière de Saint-Rémy-de-Provence.

À la différence de Maurras, Montesquiou, Dimier, Bainville ou Marie de Roux, Léon Daudet n’a pas été un des théoriciens de l’Action française. Il était avant tout romancier, et ne concevait pas d’écrire quelque ouvrage théorique. En dehors du roman, il n’excella guère que dans le pamphlet, et, en tant que journaliste, dans la polémique. Sa personnalité différait de beaucoup de celles de ses amis, tous aristocrates d’esprit, férus de belle langue et de littérature classiques. Lui, malgré un style de facture classique, était plutôt rabelaisien, usait d’une grande liberté de langage. Et, bien qu’immergé dans le beau monde depuis son enfance et doté d’une éducation des plus policées, il avait une grande liberté de comportement et de manières, et étalait des travers que les autres dissimulent tant bien que mal. Il figure Rabelais ou Mathurin Régnier au milieu de la Pléiade, auprès de Malherbe et Racan, ou dans un salon du XVIIsiècle animé par Boileau. À lui seul, cet homme haut en couleurs et brillant représente une face particulière de l’Action française, différente de celle de Maurras et autres, mais tout aussi féconde.

Paul-André DELORME.
 
RIVAROL 3478 du 30 juin 2021

1 Et bien que les Daudet eussent traditionnellement été catholiques et légitimistes.
 
2 Ainsi, Léon aurait contrarié les ambitions matrimoniales de Charcot, qui aurait vu d’un bon œil l’union de sa famille avec celle des Daudet, devenus célèbres grâce à Alphonse surtout, et Ernest, et se serait senti blessé de voir sa fille repoussée par un possible prétendant. Cette version de Léon reste cependant incertaine. Certes, Charcot n’apprécia sans doute pas le refus de Léon, mais il était tout de même un médecin universitaire conscient de ses devoirs, et il ne décidait pas seul, malgré son autorité, de l’admission des candidats à l’internat. De plus, Léon, bien qu’ayant fait une provision importante de livres et autres manuels en vue de réussir au concours de l’internat, ne semble pas avoir sérieusement préparé ce dernier, et paraît s’être dispersé dans ses activité littéraires.
 
3 Pendant treize ans, elle les empêcha de voir leur père. Jeanne devait confier à l’abbé Mugnier, un ami de sa famille, n’avoir jamais aimé Léon. Ce dernier, comme il le disait lui-même, lui conseillait ironiquement, durant leur mariage, afin de rompre l’ennui dont elle se plaignait, de faire des ménages, de poser nue pour un peintre, ou même de prendre un amant.
 
4 Désormais, la haine de Daudet à l’égard de Zola, pourtant ami de son père, ne se démentit jamais. Il surnommera « le grand Fécal » l’auteur de « J’accuse ».
 
5 À l’exception de son jeune frère Lucien (1878-1946), qui, lui, ne fut jamais anti-démocrate ni antisémite.
 
6 Il décida l’académie Goncourt à couronner À l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1919.
 
7 Auquel il s’efforça, en vain, de faire attribuer le Goncourt, pour Voyage au bout de la nuit, en 1932.
 
8 Le journal fut le phare lumineux de l’Action française. Mais l’éclat du mouvement tint aussi à la Ligue d’Action française, fondée en 1905, à l’Institut d’Action française, créé en 1908, et aux Camelots du Roi.
 
9 Pendant laquelle il n’est pas mobilisé en raison de son âge (déjà 47 ans en 1914). Il tenta de s’engager volontairement en août 1914, mais sa demande fut refusée en raison de sa condition physique.
 
10 Transfuge de la gauche socialiste, Alexandre Millerand (1859-1943), remporta tous les suffrages de la droite lorsqu’en tant que président du Conseil (janvier-septembre 1920), il décida du rétablissement de l’ambassade de France auprès du Saint-Siège, puis, lorsqu’à la conférence de Spa (5-16 juillet), il parvint à faire attribuer à la France 52 % du montant total des réparations de guerre allemandes.
 
11 En 1903, Léon Daudet avait épousé, en secondes noces, sa cousine, Marthe Allard (1878-1960). Le couple eut cinq enfants, dont Philippe était l’aîné.
 
12 Il trouva une souris morte dans sa pitance !

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L’Action Française, saint Pie X et la démocratie chrétienne

L’Action Française, saint Pie X et la démocratie chrétienne

L’Action Française, saint Pie X et la démocratie chrétienne

 

En 1910 le pape fustigeait l’idéal d’émancipation politique et sociale de Marc Sangnier, vicié par une fausse idée de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la dignité. Selon saint Pie X, « les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes ».

La lettre sur le Sillon, Notre charge apostolique, écrite par le pape saint Pie X et datée du 25 août 1910 (fête de saint Louis – et ce n’est pas un hasard !) est de ces documents qui emportaient l’admiration enthousiaste de Charles Maurras pour l’Église « temple de définitions du devoir ». À l’aube de ce XXe siècle qui allait commettre tant d’atrocités au nom de la démocratie, le saint pape redressait charitablement mais vigoureusement Marc Sangnier qui, en France, propageait l’utopie d’un monde idéal par ce régime. Le pape était très clair : « Nous n’avons pas à démontrer que l’avènement de la démocratie universelle n’importe pas à l’action de l’Église dans le monde », car l’institution divine ne saurait s’inféoder à un parti.

L’Église peut-elle accepter la démocratie ?

De tout temps, l’Église a laissé les peuples libres de choisir entre monarchie, aristocratie, démocratie, le régime convenant à leurs traditions et à leurs intérêts. Elle peut très bien accepter la démocratie en tant que simple principe de désignation, par l’élection, des autorités. En vertu de quoi Léon XIII, croyant servir la paix civile, incita les catholiques français en 1892 à se rallier à la République, mais on voulut alors oublier qu’en France ce régime, héritier des Lumières et de la Révolution, n’envisageait l’élection que comme principe de création du pouvoir, donc rendait bien difficile pour l’élu de reconnaître qu’il tient son pouvoir, comme tout pouvoir ici-bas, de Dieu seul et qu’il doit l’exercer au service supérieur du bien commun. À la génération suivante, Sangnier et ses amis, dont saint Pie X reconnaissait la générosité, oublièrent les précautions de Léon XIII parlant de la démocratie sans lui donner un sens politique et comme d’une « bienfaisante action parmi le peuple » ; ils se laissèrent dévoyer ; ils adhérèrent, refusant toute obéissance et tout respect de l’expérience ancestrale, à l’idéologie même de la démocratie pour dresser la souveraineté du peuple face à celle de Dieu et la brandir comme le phare d’un monde nouveau et plus juste…

La cité catholique

Mais citons saint Pie X : « On ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l’a bâtie ; on n’édifiera pas la société, si l’Église n’en jette les bases […] ; non, la civilisation n’est plus à inventer, ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c’est la civilisation chrétienne, c’est la cité catholique. » Le pape montrait ensuite que l’idéal d’émancipation politique, sociale et intellectuelle que rêvait de réaliser le Sillon, était vicié par une fausse idée de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, de la dignité. En voulant donner à chaque citoyen « une âme de roi », à chaque ouvrier « une âme de patron » et ainsi « porter à son maximum la conscience et la responsabilité civique de chacun », il « entraîn[ait] l’homme sans lumière, sans guide et sans secours dans la voie de l’illusion ». Quand on s’éloigne de l’ordre naturel créé par Dieu on ne peut qu’errer…

Une agitation tumultueuse, stérile

 Que pouvait-il sortir d’une telle collaboration avec des non-chrétiens et des idéologues venus de toutes parts ? « Une construction purement verbale et chimérique, où l’on verra miroiter pêle-mêle et dans une confusion séduisante les mots de liberté, de justice, de fraternité et d’amour, d’égalité et d’exaltation humaine, le tout basé sur une dignité humaine mal comprise. Ce sera une agitation tumultueuse, stérile pour le but proposé et qui profitera aux remueurs de masses moins utopistes. Oui, vraiment, on peut dire que le Sillon convoie le socialisme, l’œil fixé sur une chimère. »

 L’ultime avertissement

Les sillonnistes allaient jusqu’à oser « entre l’Évangile et la Révolution des rapprochements blasphématoires » et à dépouiller le Christ de sa divinité pour attirer le plus grand nombre.

Citons alors cet ultime avertissement : « Qu’ils soient persuadés que la question sociale et la science sociale ne sont pas nées d’hier ; que, de tout temps, l’Église et l’État, heureusement concertés, ont suscité dans ce but des organisations fécondes ; que l’Église, qui n’a jamais trahi le bonheur du peuple par des alliances compromettantes, n’a pas à se dégager du passé et qu’il lui suffit de reprendre, avec le concours des vrais ouvriers de la restauration sociale, les organismes brisés par la Révolution et de les adapter, dans le même esprit chrétien qui les a inspirés, au nouveau milieu créé par l’évolution matérielle de la société contemporaine : car les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires, ni novateurs, mais traditionalistes. »

Suivaient quelques mesures pratiques pour arracher les âmes à cette débâcle et pour définir une véritable action sociale catholique. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que ces propos qui, prononcés par un saint, sont illuminés de sainteté, décrivent à l’avance une situation dans laquelle, faute d’avoir écouté la voix du Magistère, le monde actuel est enfoncé politiquement, socialement, et religieusement. Qu’on le reconnaisse ! Saint Pie X est toujours actuel ; aujourd’hui c’est la démocratie qui est vieille. Écoutons-le nous appeler à restaurer la société sur des bases saines, expérimentées et salutaires. En la purgeant de la démocratie…

Maurras six ans plus tôt…

Charles Maurrras avait admiré l’intelligence et la générosité de Sangnier jusqu’au jour, le 25 mai 1904, où celui-ci crut bon d’écrire dans le journal du Sillon : « Pour un esprit dégagé de toute superstition, un impérieux dilemme doit tôt ou tard se poser : ou le positivisme monarchiste de l’Action française ou le christianisme social du Sillon » ! Ce fut l’origine du Dilemme de Marc Sangnier, l’un des plus lumineux textes de Maurras. Nous rappelons ici seulement quelques points. Faux dilemme, répondit Maurras dès le 1 er juillet dans L’Action Française, alors bimensuelle, « dépourvu de valeur logique et de sens réel », parce que dire que les lois naturelles existent, que l’expérience les dégage après que l’observation en a recensé les faits ne saurait contredire les justifications métaphysiques qui en constituent pour les chrétiens le vrai fondement.

« Les lois naturelles existent ; un croyant doit donc considérer l’oubli de ces lois comme une négligence impie. Il les respecte d’autant plus qu’il les nomme l’ouvrage d’une Providence et d’une bonté éternelles. »

Et de prendre l’exemple de Godefroy de Bouillon, de sainte Jeanne d’Arc, de saint Vincent de Paul, qui n’ont jamais réalisé leur mission chrétienne en méprisant les conditions temporelles, expérimentales, du succès de leurs entreprises. Maurras alors s’étonnait : « Notre philosophie de la nature n’exclut pas le surnaturel. Pourquoi Sangnier, dans son surnaturel, ne sous-entend-il pas la nature ? » Séparer les deux ordres était nettement contraire à la tradition thomiste… Le fondateur du Sillon écrivit alors à Maurras une lettre publiée dans L’Action Française du 15 août où il disait que la démocratie qui restait à mettre en route est le régime qui devait « porter au maximum la conscience et la responsabilité de chacun ». Étant donné « l’effort évolutif des sociétés humaines », il y aurait de plus en plus d’hommes dans ce cas : la démocratie sera toujours en devenir… « Nous continuons notre route vers l’avenir », écrivait-il. Sangnier rêvait d’un État fondé sur la vertu Ainsi, Sangnier rêvait d’un État dont le fondement serait la vertu. On nageait en plein rousseauisme… Maurras n’avait aucun mal à répondre que, bien sûr, la vertu est belle et que la chrétienté a suscité de grands élans d’héroïsme et de sainteté, mais que si les motifs surnaturels sont d’un prix infini, c’est « à condition qu’ils soient guidés et définis par la vénérable sagesse de l’Église », laquelle, sachant que la seule prédication du bien ne saurait suffire à transformer une société, a toujours voulu multiplier, pour encadrer l’individu, les habitudes, les institutions, les communautés qui le portaient à surmonter ses penchants égoïstes ou les “illuminations” de sa sensibilité. La confiance en l’homme est trompeuse… Pas de bonnes mœurs sans de bonnes institutions ! Enfin, poursuivait Maurras, « être sublime à jet continu, héroïque à perpétuité, tendre et bander son cœur sans repos et dans la multitude des ouvrages inférieurs qui, tout en exigeant de la conscience et du désintéressement, veulent surtout la clairvoyance, l’habileté, la compétence, la grande habitude technique, s’interdire tous les mobiles naturels et s’imposer d’être toujours surnaturel, nous savons que cela n’est pas au pouvoir même des meilleurs ».

Et de constater : « Quand la France fut-elle plus croyante et plus vertueuse qu’aux XIIe et XIIIe siècles ? C’est aussi le moment où elle fut le plus monarchique, le plus féodale, le plus “corporative” et le moins individualiste, c’est-à-dire le plus étrangère au système démocratique républicain cher à Sangnier. »

Maurras avait très tôt deviné l’erreur politique qui pouvait découler d’une erreur religieuse fondamentale puisqu’elle portait sur la place de l’homme dans l’ordre de la Création. Et son analyse allait être confirmée par le saint pape six ans plus tard.

Michel Fromentoux, membre du Comité Directeur de l’Action Française

 

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Les raisons du nationalisme de Léon de Montesquiou

Les raisons du nationalisme de Léon de Montesquiou

Sursum corda ! L’Action française se félicite de la réédition – après plus de cent ans ! – d’une œuvre majeure d’un de nos maîtres ! En effet, si nos sympathisants et militants peuvent accéder plus ou moins facilement aux travaux de nos plus célèbres plumes – à l’instar de Charles Maurras, Léon Daudet ou Jacques Bainville – bien d’autres auteurs semblent nous être interdits faute de nouvelles éditions. Le travail semble titanesque, mais il est temps de sortir de l’ombre des intellectuels comme Louis Dimier, Marie de Roux ou encore celui qui nous intéresse présentement, à savoir Léon de Montesquiou. Nous devons cet événement à une jeune et courageuse maison d’édition La délégation des siècles qui vient de publier Les raisons du nationalisme, l’occasion pour nous de les rencontrer.

Merci à vous de nous accorder cet entretien. Pourriez-vous nous présenter tout d’abord votre maison d’édition, ses fondements, ses aspirations et ses objectifs ?

Le « cri de guerre » de La délégation des siècles est le suivant : « Redevenir des Français ! »

Nous partons du constat qu’il existe, dans le panthéon des lettres françaises, des textes, des livres, des auteurs dont la lecture tire l’âme de sa léthargie, pour reprendre le mot fameux de Barrès. Hélas, l’édition française, l’Université, le monde de la culture ont largement oublié ou snobé ces œuvres depuis plusieurs dizaines d’années, principalement pour des raisons idéologiques et partisanes.

Nous souhaitions réunir en une seule et même collection cohérente ces œuvres édifiantes et superbes, afin que le lecteur qui souhaite se former, se renforcer, mettre de l’ordre dans ses idées, acquérir des lettres, développer sa science politique et son argumentaire, mettre des mots sur ses sentiments, puisse trouver, réuni pour lui, un ensemble solide qui répondra à ces besoins.

Au moment d’écrire ces lignes, nous proposons un catalogue d’une quinzaine de titres, qui s’étoffe constamment. Nous sommes fiers à ce propos de remettre en circulation des livres totalement inconnus et oubliés, comme très récemment Le capitaine philosophe de Marcel Tissot. Il raconte l’histoire d’un jeune homme issu de la noblesse qui va embrasser les idéaux de la Révolution dans un premier temps, avant de déchanter pour des raisons que le lecteur découvrira. Ce livre a été publié une seule et unique fois en 1876, et nous venons de le « ressusciter » le mois dernier.

Parmi les innombrables œuvres existantes, pourquoi vous être intéressé spécifiquement à cet auteur, à cette œuvre ? Comment se fit cette rencontre ?

Léon de Montesquiou (1873-1915) doit être réhabilité ! Sa mort précoce en 1915 au champ d’honneur ne lui a pas permis de continuer son œuvre après la guerre, ce qui explique sans doute qu’il a été « oublié » avec les années. Mais je le redis : il doit être réhabilité, entre autres pour cette raison fondamentale : il était un immense pédagogue capable de rendre claires, limpides et accessibles les œuvres complexes et parfois opaques de philosophes comme Louis de Bonald.

Il avait compris les enjeux, savait quelles conséquences seraient entraînées par les mauvais choix politiques et philosophiques de son époque et avait « prophétisé » nos malheurs. Il appartient à cette catégorie de penseurs dont les œuvres écrites il y a plus de 100 ans décrivent notre propre présent d’une façon incroyablement juste.

Les ouvrages de Montesquiou sont à la fois des manifestes politiques, des cours de philosophie et d’histoire, des leçons puissantes et une source d’énergie immense. C’est tout ce qui manque à nos contemporains alors il était de notre devoir de remettre ce livre en circulation.

Pourriez-vous nous présenter ce livre ? Quelle est son origine ? Quel est son objectif premier ? Comment s’articule-t-il ?

Les raisons du nationalisme a été publié en 1905. Le livre se découpe en cinq chapitres qui sont en fait les textes de cinq conférences données par Léon de Montesquiou entre 1902 et 1905. Dans chacune des parties, il aborde et précise un thème, toujours en lien avec l’objectif qu’il s’est fixé d’expliquer les raisons du nationalisme, sa raison d’être, son bienfondé et ses objectifs. Nous trouvons donc ici exposés le thème de l’enracinement avec Barrès, du déclassement social avec Paul Bourget, de régime politique, de la Tradition, de la Liberté, etc.

L’un des grands intérêts de ce livre est qu’il donne une définition large du nationalisme. Les adversaires du nationalisme ont longtemps enfermé cette doctrine dans cette phrase aussi réductrice que fausse : « le nationalisme, c’est la guerre ! ». Hélas beaucoup de nos contemporains pensent en effet, à cause du formatage auquel ils sont soumis, que le nationalisme est seulement une pulsion délirante de guerre et de mort. En réalité, c’est une véritable philosophie politique au sens large, qui s’exprime sur tous les aspects de la vie sociale et civile : culture, histoire, géopolitique, économie, valeurs & principes, organisation sociale, institutions, etc.

Le texte réussit l’exploit de s’adresser autant aux personnes déjà convaincues qu’à celles qui hésitent, qui ne savent pas ou qui n’ont pas d’avis particulier, car il est à la fois assez solide doctrinalement pour satisfaire des esprits déjà formés et assez pédagogue dans sa forme pour convaincre des profanes, des indécis, voire des adversaires !

Nous connaissons votre intérêt pour Maurice Barrès – qui représente la majorité de vos éditions -, quelle place tient-il dans cette œuvre ?

Maurice Barrès occupe effectivement une place de choix à La délégation des siècles, et pour cause ! Il est un maître, un professeur d’énergie, un littérateur exceptionnel et une intelligence sensible au service de la France. Léon de Montesquiou n’était pas d’un autre avis d’ailleurs, et en effet la première partie des Raisons du nationalisme se consacre à Barrès et à son œuvre intellectuel et littéraire en faveur de l’enracinement. Il est notable d’ailleurs que Montesquiou, qui est de l’école monarchiste, salue et loue Barrès le républicain. Parce qu’au-delà des différences, il y a l’amour de la France qui surpasse ces clivages. Je pense souvent à ce mot de Déroulède : « Républicains, royalistes, bonapartistes, ce sont des prénoms ; Français est le nom de famille ». Montesquiou reconnaissait dans Barrès un maître ayant considérablement participé à la formulation d’une doctrine nationale solide.

Léon de Montesquiou fut un nationaliste convaincu par l’idée monarchiste à la suite d’une lente conversion où Charles Maurras eut la première place. Celle-ci se fit entre 1900 et 1901 à la suite de la lecture de l’Enquête sur la monarchie et d’une série d’articles parus dans La revue d’Action française. Comme Charles Maurras, il croit que l’argumentaire philosophique traditionnel doit être renouvelé et tente de concilier des auteurs comme Bonald et Comte – écrivant des essais les concernant à l’instar du Le système politique d’Auguste Comte (1910) ou Le réalisme de Bonald (1911) -. Comment se traduit cette tension entre les autorités traditionnelles et celles plus récentes ?

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque pour essayer de comprendre cette tension dont vous parlez. Nous avons là des gens convaincus que la France est grande mais qu’elle ne l’est que parce que les puissances intérieures qui l’animent acceptent d’assumer cette puissance et de la garantir. Or, à cette époque, on voit déjà poindre des défaitistes, des déclinistes, des internationalistes qui ne trouvent plus intéressant d’assumer cette grandeur. Les fruits pourris de la Révolution ont infesté le sol longtemps après les événements : les institutions sociales qui garantissaient à la France sa solidité et sa stabilité ont été dévastées par l’aventure révolutionnaire. La charpente nationale est écroulée sur le sol et des gens, au nombre desquels Léon de Montesquiou et d’autres, s’interrogent : maintenant que la charpente est écroulée, comment empêcher que la France ne s’écroule à son tour, ce qui arrivera immanquablement ? À cette question, ils ne répondent pas tous de la même façon. Montesquiou et avec lui d’autres représentants de l’Action française tentent un rapprochement intellectuel avec par exemple l’école positiviste de Comte. Notons d’ailleurs qu’à cette époque, Maurras tente plusieurs rapprochements en vue de créer une dynamique : il entretient une correspondance avec beaucoup de personnalités d’autres camps, comme Anatole France ou Marc Sangnier.

Il y avait une vraie volonté d’unir les forces en présence afin d’éviter le drame absolu que représenterait l’écroulement de la Maison. On peut dire que ces tentatives de conciliation étaient une réponse spontanée devant l’imminence d’un danger mortel ; lequel danger rendait nécessaire certaines tentatives qu’en temps normal il n’y aurait pas eu lieu d’envisager. Mais les situations de crise imposent des solutions de crise.

Nous savons que Léon de Montesquiou critique l’économie libérale et qu’il lui oppose la construction d’une société organique propice aux métiers et aux solidarités ? Quel constat pose-t-il, lui qui fut si fortement imprégné des idées de Le Play, concernant les questions sociales et économiques ?  

C’est en effet l’un des grands affrontements philosophiques entre les traditionnalistes et les transformateurs. L’industrialisation, l’exode rural, la machinisation des métiers manuels, tous ces mouvements ont profondément modifié la structure sociale du pays. Pour la première fois depuis des siècles, des hommes ont quitté le village dans lequel leurs familles étaient établies depuis toujours pour s’en aller se faire recruter à l’usine. Par ce fait, des siècles d’habitudes ont été bouleversés et une grande part des traditions locales, paroissiales, villageoises, communales, a été bousculée et perdue. Cet immense désordonnement est traité dans la deuxième partie des Raisons du nationalisme, dans laquelle Montesquiou évoque le thème du déclassement au travers du roman l’Étape de Paul Bourget, qui traite de ce sujet. Montesquiou fait le constat que les innovations politiques nées de cette métamorphose n’ont pas été sans conséquences. Mais pour résumer cette pensée, je cite Gustave Thibon, un autre brillant esprit :

« Arrêtons-nous par exemple un instant sur le mythe démocratique du “peuple souverain”. Tous les bons esprits ont vu là depuis longtemps une formidable supercherie : d’une main, on donne au peuple un pouvoir pour lequel il n’est pas fait et qui, par conséquent, reste toujours quelque chose de spectral et de platonique, et, de l’autre, on lui enlève les droits qui conviennent à son rôle exact dans la cité. Le bulletin de vote a fleuri sur la tombe des libertés communales et corporatives ».

Léon de Montesquiou était de ces « bons esprits » dont parle Thibon.

Les traditionnalistes analysent qu’un être humain est aussi le fruit de son environnement social et culturel. Qu’un villageois de la Meuse, artisan ou cultivateur, a besoin pour s’épanouir d’un ensemble social et culturel qui convienne à sa condition de villageois de la Meuse. La supercherie, c’est dire à cet homme : « Oublie ton champ, oublie ton atelier, oublie ta chapelle, oublie la tombe de tes anciens et rejoins la démocratie, tu pourras voter pour dire ton avis sur le nucléaire, sur la durée du mandat présidentiel, etc. » Or, l’artisan meusien se fiche en réalité de la durée du mandat présidentiel et d’ailleurs il n’est ni concerné ni qualifié pour se positionner sur ce sujet hautement technique. Le modernisme a détruit l’église et la vie communale de cet artisan pour lui donner en échange des « droits » qui ne le concernent pas, ou tellement lointainement.

Ce qu’il faut, c’est respecter les écosystèmes sociaux et culturels locaux. La République jacobine et nihiliste a fait des dégâts considérables. Et là, nous en revenons à Barrès et à la thèse qu’il défend dans Les déracinés : contre l’universalisme stérilisant, pour la reconnaissance des particularités locales. Cela vaut pour les questions identitaires comme pour les questions sociales.

Nous vous remercions ! Travaillez-vous actuellement sur d’autres éditions ? Est-ce que d’autres figures d’Action française seront honorées ?

D’autres nouveaux titres arrivent bientôt en effet. Pour le moment, pas d’autres figures de l’Action française. En fonction du succès que rencontra ou non ce livre de Léon de Montesquiou, nous envisagerons de lancer d’autres ouvrages de cet auteur. Comme on dit dans ces cas-là : la balle est dans le camp des lecteurs !

Un dernier mot ?

N’abdiquons jamais.
Qui vive ? France !

Propos recueillis par Guillaume Staub

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Henri Vaugeois, Père de l’Action Française

Henri Vaugeois, Père de l’Action Française

Dès 1899-1900, le pouvoir de séduction idéologique exercé par le génie de Maurras paraît irrésistible. L’expérience boulangiste conjuguée à l’Affaire Dreyfus qui n’en finit pas incitent les patriotes sincères à chercher la solution nationaliste apte à les faire sortir de cette brume épaisse qui les empêche de voir où ils vont réellement. La belle littérature, la fougue, l’héroïsme, le panache, l’honneur, voilà des éléments formels qui étaient, enfin, considérés comme tels à l’aube du vingtième siècle en France. Les patriotes ont désigné l’ennemi, ont analysé l’écosystème dans lequel il prolifère et ont compris (pour une large fraction d’entre eux) que le problème était global et que seule une solution globale était en mesure de soigner le pays, de le sauver de la mort. On comprend à cette aune l’importance de la théorie du nationalisme intégral et en premier lieu de sa dénomination qui en dit long sur cete volonté de résoudre en profondeur et à tous les niveaux l’inadmissible crise de régime qui compromet l’avenir de la nation millénaire. Et les patriotes conséquents le comprennent de plus en plus et de mieux en mieux (le paysage devient limpide), la crise du régime est incessante parce que le régime lui-même est inapproprié, impropre, est impossible ! La volonté de faire le bien sous un tel régime est stérile. Il ne suffit plus d’être patriote en 1900, il faut s’opposer à angle droit à la démocratie, à la république. L’entreprise de Déroulède ne pouvait donc plus être spontanément appuyés par tous les patriotes comme si le remède politique allait sortir par magie de cette agitation populiste, nonobstant sympathique à leurs yeux.

Henri Vaugeois pré-maurrassien ou premier maurrassien ?

On doit à Henri Vaugeois la création de l’Action Française qui se présente à ses débuts comme une sorte de rassemblement d’hommes nationalistes anti-dreyfusards aux tendances antidémocratiques non théorisées. Mais il faut insister sur le fait que Vaugeois s’était éloigné de La Ligue de la Patrie française au nom d’un désaccord idéologique fondamental et non parce qu’on ne lui aurait pas donné les responsabilités qu’il espérait obtenir dans l’organisation cornaquée par l’agrégé Gabriel Syveton (Vaugeois aurait échoué à de multiples reprises à cet examen ce qui expliquerait selon l’historien du CNRS Laurent Joly une jalousie maladive chez lui et ses choix politiques vengeurs, calculés et fruits de ses ressentiments…). Le premier août 1900, dans un article de la Revue grise qui fera date, le professeur Vaugeois, dresse une critique politique du combat de Déroulède et de sa sclérose dogmatique. « On s’explique fort bien, écrit-il, que l’espoir soit venu à beaucoup de nos amis de voir Paul Déroulède sauver, en l’incarnant, l’idée d’une république qui serait française au lieu d’être cosmopolite ». Mais, ajoute-t-il d’emblée, « nous ne partageons pas cet espoir ; nous le respectons. » Encore faut-il ajouter qu’il le respecte parce qu’il est a priori sincère, absolument désintéressé, qu’il ne serait que le fruit d’un amour patriotique. Mais, en vérité, un homme intelligent ne peut justement pardonner à un homme fidèle à sa patrie de s’empêtrer ainsi dans l’erreur, dans l’erreur française pour parler comme le Marquis de Roux. Diplomate, en 1900, séducteur, militant de la cause maurrassienne avant les autres (et sur ce point nous sommes d’accord avec Laurent Joly : il semble en effet que Vaugeois a volontairement retardé l’annonce de sa conversion au monarchisme à des fins didactiques, ses différents articles des années 1898-1900 montrant une volonté toute rationnelle de témoigner en faveur des principes antilibéraux, antidémocratiques et catholiques loin de toute charge affective à l’endroit de la royauté), Henri Vaugeois prend garde de ne point heurter le public qu’il convoite. Même s’il est sûr que sa conversion est récente (il fut membre de l’Union pour l’action morale qui défendait Dreyfus!), il est légitime de penser qu’il fut convaincu par le maître de Martigues plusieurs mois avant de se déclarer officiellement monarchiste. L’on peut penser que sa première lecture de l‘Enquête sur la Monarchie (terminée en 1900) fut persuasive et décisive quant à sa rupture avec le spinozisme et le kantisme.

Les lois du patriotisme ou l’exigence maurrassienne

L’influence maurrassienne est perceptible dans les premiers articles du fondateur de l’AF. Des textes certes radicaux, rudement antisémites, violents, mais aussi et surtout empreints de rationalité, en tout cas construits autour d’une démonstration. Pour Maurras, en effet, un nationaliste républicain, fut-il le mieux intentionné, ne peut éviter de « manquer aux engagements pris envers l’idée de patrie », car la France n’est jamais pour lui que « la France mais… ». Finalement, un tel Patriote n’est peut-être pas digne d’en porter le nom. A moins qu’il ne soit profondément idiot, car l’homme pusillanime qui se détourne de la vérité politique en craignant qu’elle ne soit pas conforme à la mode ou à la religion démocratique qui a pourri la raison des Français n’est pas digne d’être suivi. Si l’erreur est humaine, il est cependant criminel de s’y accrocher et plus encore de mystifier les gens du peuple sans grande instruction qui ont souvent une confiance aveugle en ce Patriote élu ou candidat. Des étapes politiques ont été gravies, il faut respecter cette expérience et en tirer des leçons. Au lendemain du décès brutal de Vaugeois en 1916, Maurras, bouleversé, mit sa plume au service de la mémoire du grand homme. D’autant plus grand qu’il savait écouter sa raison pour servir sa passion (elle-même raisonnable), la Nation (le N majuscule était utilisé par Vaugeois).
« La Ligue de la Patrie française ? Oui, certainement, il la fondait ; avec Lemaitre, avec Léon de Montesquiou, avec Amouretti, avec Syveton, avec Barrès, avec Dausset, avec Jacques Bainville, avec moi. Mais ce n’était pas ça. Les partis et leurs idées électorales bourdonnaient déjà dans les comités et son instinct le plus profond, le plus personnel l’avertissait de l’inertie toute matérielle propre à cette politique démocratique. Il voulait une action politique reconnaissable à deux caractères : 1° une haute liberté de l’esprit ; 2° la foi française. Il voulait faire quelque chose d’intelligent et de national, d’absolument intelligent, d’essentiellement national. Mais quoi ? Et comment ? » Vaugeois n’a pas abandonné le chantier intellectuel qu’il avait commencé pour se vautrer dans un imaginaire patriotard d’images d’Epinal. Malgré les difficultés, malgré les lourds préjugés qui hypothéquaient la démarche scientifique en politique, il a été au bout du raisonnement, il a accepté le théorème maurrassien non par confort intellectuel mais parce qu’il était persuadé de sa véracité. Et pourtant rien n’est plus faux que la critique de Maurice Barrès qu’il adressa à Vaugeois et à Maurras pour justifier son immobilisme politique puis son inéluctable glissement vers le centre mou ; idée selon laquelle les deux hommes ne se nourriraient que d’abstractions, d’idées, certes vraies sur le papier comme les mathématiques sur un tableau noir, mais inadaptées au monde de leur temps. La critique est absurde et Henri Vaugeois sut la renverser sans attendre. Les idées peuvent bien décrire la réalité ou les conditions du « mieux », les idées sont nécessaires, elles sont indispensables au Politique s’il ne veut pas se perdre en même temps que la nation qu’il dirige.

Les idées contre les mots !

Le problème, ce ne sont donc pas les idées, mais les idées fausses, et pire encore les mots seuls. Les mots qui ne recouvrent rien, les mots qui postulent l’impossible ou l’inexistant, les mots qui fabriquent (pour parler comme Maurras) les nuées et les coquecigrues. Le langage peut être un poison non les idées vraies qui constituent au contraire leurs antidotes. Vaugeois réplique le 15 octobre 1900 dans le fameux bimensuel : « N’oublions pas que, légalement, c’est, sinon par les mots, du moins au nom des mots que la république démocratique est gouvernée, de même que c’est par les mots qu’elle a été constituée, par ces mots généraux que des niais veulent bien qualifier idées. La seule Majesté que nos révolutions aient laissé subsister est celle du Verbe, et les éléments derniers dont se compose ce monstre où nous cherchons en vain à reconnaître le type idéal de la société française, ce sont les lettres de l’alphabet, rien de plus. » Contre le fanatisme des mots qui sert avant tout les intérêts des étrangers organisés en oligarchie dans les coulisses, les idées qui éclairent, les idées qui éveillent, les idées qui construisent, enfin les idées qui sanctuarisent la déesse (encore un terme emprunté à Maurras qui parlait bel et bien de déesse et non de Dieu) nation. Au cours d’une conférence (qui a marqué l’histoire de l’AF) faite à Paris le 16 février 1900, Vaugeois a mis en garde les patriotes sincères contre les bons sentiments, les griseries patriotiques dépourvues d’un axe, l’amour sans colonne vertébrale. Rien n’est plus éphémère que cette exaltation, fruit de la colère ou d’une montée d’hormones qui s’évaporent dans les airs comme la fumée. Vaugeois répète souvent, comme Maurras du reste, cet axiome nationaliste qui expose les principes au-dessus de tout. L’on voit encore, à travers ce discours, cette volonté de trouver les ressources qui permettraient de rendre pérenne cette France poignarde née des scandales, de l’humiliation de 70 et de l’Affaire. « Le nationalisme, je le sais bien, n’a pu et dû être d’abord qu’instinctif : ç’a été une protestation, une colère, un mépris légitime. Vous vous rappelez de quels griefs il est né, ce mépris, et à qui surtout il s’adresse. (…) Mais une protestation, si vive qu’elle soit, fût-ce celle de l’honneur national blessé, et réveillé par la blessure même ; une passion, si ardente qu’elle paraisse, fût-ce l’amour de la patrie et le désir de la voir glorieuse ; une flamme, comme celle de l’enthousiasme qui court sur un peuple aux heures où ce peuple se sent vivre, c’est chose courte, trompeuse, et qui ne laisse après elle que froideur et que cendres stériles, quand on ne l’a point nourrie de réalités observées, de principes déduits, de raisons, enfin. Léonard de Vinci pensait que l’intelligence augmente l’amour, c’est-à-dire que plus on voit, plus on pénètre, plus on connaît ce que l’on aime, et plus on l’aime. Essayons donc de bien voir cette France d’aujourd’hui, cette France « nationaliste », qui se lève toute saisie, toute tremblante, à l’idée de sa propre essence, méconnue et menacée. Il faut que nous sachions ce qu’elle est, en fait, et puis ce qu’elle veut, ou mieux : ce que nous sommes, nous-mêmes, pour que notre pays survive. » Vaugeois voit très bien où vont se déverser la colère, la révolte et l’abnégation des patriotes chauffés à blanc : dans l’urne !

Présence de Vaugeois

Vaugeois qui tient alors un discours devant Maurice Barrès (invité d’honneur de la conférence du 16 février, un Maurice Barrès qui fut député de Nancy du 12 novembre 1889 au 14 octobre 1893), ne peut critiquer sans prendre de pincettes le parlementarisme, et précisément la fonction de député. C’est une gageure pour Vaugeois qu’il relève cependant avec brio. Assurément, dit-il, existe-t-il des députés très patriotes, des députés honnêtes et au grand cœur, des hommes résolus à défendre leurs idées. Certains auraient même fière allure. Mais Vaugeois ne peut éluder les raisons pour lesquelles ce système est vicieux. Il n’en a pas le droit, il n’en a plus le droit, il est devenu un passeur de vérité. Il a été précautionneux mais il dit, à la fin, ce qu’il pense, sans circonvolution : le député défend sa position, ses avantages, commence-t-il. Au lieu de détruire le régime dit le député patriote lambda, « pourquoi n’élirions-nous pas des députés honnêtes et sensés, qui pratiqueraient sincèrement, au lieu de le supprimer, ce régime de la libre discussion, qui donne tant de précieuses garanties aux droits des citoyens, et qui offre tant de ressources à leur bonne volonté, à leur patriotisme, à leur dévouement au salut commun ? » Mais ce qui sort d’une assemblée délibérante, ce n’est pas une pensée plus saine, répond Vaugeois, ce n’est même pas une formule précise, mais une bouillie dangereuse. « Ce qui sort, c’est un bruissement, le plus confus, le plus dénué de sens, le plus matériel qu’il nous soit donné d’entendre en ce monde. Mieux vaudrait, poursuit un Vaugeois survolté, pour une nation fière, demander le secret de sa destinée aux feuilles de la forêt, aux vagues de la mer, qu’à cet innommable rumeur de sottises, de vanités, d’ignominies entre-croisées, qui s’élève d’un troupeau de « représentants », même et surtout lorsqu’ils sont d’accord ! » Le professeur de philosophie se ressaisit : « Si vous étiez tentés de me trouver trop pessimiste, et de m’accuser de malveillance à l’égard des parlementaires, je vous prierais de réfléchir que c’est à l’institution même et au principe sur lequel elle repose, que s’adresse ma critique, nullement aux individus, souvent remarquables, qui essaient de tirer parti de cette institution dans nos assemblées actuelles ».

Les hommes en foule, les hommes en tas, les hommes pourris

Mais c’est peine perdue. Ils peuvent bien y prodiguer des trésors d’intelligence et d’honnêteté, ils se heurteront toujours à une difficulté insurmontable, à la nature même des choses qui « veut que les hommes, mis en tas, se pourrissent comme les fruits, et qu’une Chambre des députés s’emplisse nécessairement des miasmes de la bêtise et de la méchanceté humaines. » Avec cette critique du parlementarisme, c’est toute la démocratie d’une manière générale qui est visée par Vaugeois. Néanmoins, si le mal est initialement présent dans les institutions républicaines, si le régime est vicié à la base, la France, en 1900, a franchi une nouvelle étape, un nouveau pallier dans sa décomposition morale qui rend plus impérieux encore l’entreprise de restauration nationale qu’il appelle de ses vœux. Pour Vaugeois, comme pour Drumont, plus que pour Maurras qui voit davantage dans l’évènement un effet terrible de la république en marche, l’affaire Dreyfus a provoqué une véritable révolution individualiste. La révolution dreyfusienne, comme on l’appelle déjà, aurait donné naissance à une nouvelle conscience collective en France. Il s’agit d’une révolution d’origine médiatique, une révolution orchestrée par les nouveaux faiseurs d’opinion qui ont fabriqué un électorat à leur mesure, un électorat abruti d’individualisme, de philosémitisme, au mieux qui restera bloqué au stade premier du péguyisme. « L’affaire Dreyfus l’a révélé ou n’a servi à rien : nous sommes une société où l’opinion, qui est faite par la presse, qui est faite par l’argent, suscite et précède les actes du pouvoir, alors qu’elle ne devrait, tout au moins, que les juger et, par conséquent, les suivre. » Indécis, trompés, l’électeur est neutralisé. Aussi n’est-ce pas seulement le parlementarisme bavard et emberlificoteur qui est une pierre d’achoppement au redressement de la nation, c’est bien la démocratie et l’électoralisme qui dupe, toujours, le citoyen obnubilé par la croyance qu’il détient la capacité de choisir ce qui est bon et de contribuer de la sorte au bien public. La république est dirigée par une oligarchie qui se sert des élections pour tromper les masses et elle s’en sert uniquement à cet effet. Son objectif est double : sucer les richesses du pays, exploiter le travail des individus inoffensifs car ignorants quant à la réalité des forces qui contrôlent la France, et dissoudre tous les principes et toutes les conditions d’une possible résurrection française. Plus le temps passe, plus la renaissance semble compromise. Il faut le dire aujourd’hui, plus fort, et le répéter davantage qu’en 1900 : la démocratie pourrit les âmes.

C’est ce constat sans appel qui permet à Vaugeois de condamner toutes les formes de démocratie, y compris celle défendue par l’illustre Déroulède, la fameuse république plébiscitaire. « Je vous avouerai tout de suite que cette solution ne me satisfait guère. » Après avoir mis en avant les avantages de cette formule qui permet le groupement des nationalistes dans certaines conditions, Vaugeois montre qu’elle est une machine à décevoir. « Je prétends que l’objet des revendications nationalistes, si populaires, n’est point tout à fait celui qu’on est tenté de leur prêter : je crois que ce que veut le « peuple », ce n’est rien moins que la démocratie. Le peuple français ne peut plus être séduit désormais, ni soulevé ainsi, par l’espoir de se gouverner lui-même  (…) Le peuple n’est pas, quoi qu’on en dise, travaillé par un besoin de liberté, mais par une inquiétude sur sa sécurité. » Mais, plus que tout, c’est cette horrible façon avec laquelle la démocratie plonge les citoyens dans une brume anesthésiante les empêchant de se relever scrutin après scrutin qui est soulignée par Vaugeois. C’est que le peuple a la fibre épaisse mais est capable de s’émouvoir pour des fadaises et de tomber dans tous les panneaux dressés par le pouvoir. L’émotion est éphémère.

 L’antisémitisme, qui avait permis l’union de nombreux patriotes, notamment à Paris, qui avait connu de nouveaux succès au début de l’affaire Dreyfus, s’étiole au sein des masses avec les charges successives du camp dreyfusard qui possède 90% de la presse. Ce qui initialement illustrait la question juive devint par la grâce d’une propagande proprement phénoménale l’illustration d’un phénomène inverse : la prétendue persécution de la communauté juive par tous ces chauvins enracinés et antilibéraux, obtus et anti-individualistes selon, bien sûr, la doxa qui est née de la révolution dreyfusienne. L’émotion suscitée par l’épouvantable trahison du capitaine israélite ne dura « démocratiquement » qu’un temps. En revanche, l’oligarchie en place poursuivit ses campagnes anticléricales, obstinément, et ses campagnes antipatriotiques, sauf bien entendu, plus tard, lorsque le petit François et le père Martin seront conviés à aller faire la guerre contre le boche pour les intérêts de celle-là.

 

Jean CHARLEUX

 

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Charles Maurras

Charles Maurras

Maurras est le seul grand cœur et très grand esprit, poète, critique littéraire et philosophique, journaliste, polémiste, penseur politique et militant, qui ait dominé de son génie supérieur soixante ans de notre histoire, accompagné, entouré, suivi d’une incomparable phalange d’amis, de disciples, de ligueurs et d’étudiants passionnément fidèles et généreux. Une immense vie, tôt commencée, remplie sans repos, tard achevée, qui d’un bout à l’autre enseigne et prouve une immense doctrine. Car Maurras est absolument le seul de sa génération qui, ayant formulé l’ensemble de ses certitudes neuves, en a vu, vérifié l’exactitude durant cinquante ans, ne s’étant à vrai dire jamais trompé dans sa prévision des événements ni dans son analyse des causes et des effets, des désordres et de leurs remèdes.

Le plus naturellement du monde, mais c’est une réussite rare dans l’histoire, cet homme seul, sourd, sans aucune puissance matérielle, sans élévation sociale, parce qu’il disait la vérité toute fraîche chaque matin et de quel cœur ! est devenu le centre d’une amitié et chef d’école, âme d’une Ligue, l’Action Française, donnant à tous l’impulsion, veillant à l’unité dans la vérité, à la discipline dans les combats, envers et contre toute déviation et toute division, tant qu’il vécut.

Charles Maurras est né le 20 avril 1868 à Martigues, de parents catholiques ; sa mère était très pieuse et son père, s’il ne pratiquait pas, manifestait un attachement inaltérable aux institutions de l’ancienne France et à l’Église catholique. Il connut une enfance heureuse, riche de tous les biens, les bonheurs, les beautés de la plus aimable Provence. Il évoquera toujours avec le même inlassable émerveillement le trésor du patrimoine biologique, moral et mental reçu dès le berceau comme un don gracieux et qui distingue le civilisé du barbare.

À six ans, la mort de son père l’arrache à ce paradis de l’enfance. Sa mère s’installe à Aix pour mettre ses deux fils au collège. Charles est d’une vive intelligence. Il veut être officier de marine ! Mais en 1882, à l’âge de quatorze ans, événement soudain, trop lourde épreuve, il s’aperçoit qu’il est devenu sourd. L’infirmité fera-t-elle de lui un raté, un reclus ? Il le croit et se débat. Il se révolte et commence de perdre la foi. Pourquoi le mal, et la mort ? C’est l’immense question qui hantera toute sa vie. (CRC n° 81)

L’ADOLESCENT PAÏEN

DE L’ANARCHIE JUVÉNILE À LA CONQUÊTE DE L’ORDRE

Cet enfant perd la foi, sous les yeux des prêtres ses maîtres, douloureusement impuissants, en particulier du cher abbé Penon qui se dévoue sans mesure à la formation littéraire et philosophique du petit infirme et lui apprend à dominer son épreuve.

L’adolescent que sa surdité retranche du monde, désoriente, prive de ses ambitions et fâche avec Dieu qu’il ne comprend plus, est le même qui vibre à toute beauté et s’enthousiasme au premier choc des grandes passions. Il s’exalte aux sombres prédications révolutionnaires de Lamennais, à treize ans ! Il est blessé par l’ironie et le sarcasme de Pascal. Il s’enivre de Musset, de Verlaine et de « notre mauvais enchanteur » Baudelaire. L’anarchie est dans le trop plein des passions contraires et dans leur jeu épuisant. Cet être exquis qu’emportent son plaisir, sa curiosité, son ambition de tout étreindre, souffre de ce désordre intérieur, comme il s’effraie, à la lecture des philosophes allemands, de songer que peut-être tout est vain et que même le monde visible — si riant, si charmant — n’existe pas ! Ce n’est pas une anarchie aimée et qu’il veuille étendre plus loin, au dehors ! C’est une plaie béante dont il essaie de guérir ou dont il devra mourir. Son goût de la vie l’emporte à la conquête de l’Ordre, à la recherche des raisons et des lois sûres qui puissent régler son action, ou il se condamnera à mourir, ne sachant comment agir et qui servir…

Dans cette peine, Maurras est la plus extraordinaire illustration de ce mal du siècle finissant qui blessera Maurice Barrès et Charles de Foucauld parmi tant d’autres. (…)

Il s’est étonné, comme d’une sorte de mystère, de miracle ou de grâce, inexplicable, que le pire ne l’ait pas emporté. Dans Les quatre Nuits de Provence, il raconte cette sorte de communion sacramentelle à l’ordre du monde qui lui révéla son moi le plus fort. Maurras dut convenir qu’il existait en son être comme au cœur du monde une Loi, une Raison, une Divinité familière et attentive, prompte et miséricordieuse, qui sauve l’être du chaos et impose sa règle, sa limite, son dessein à l’infini primordial.

Cette lente ascension de l’anarchie à l’ordre est exemplaire, non par l’anarchie détestée, désavouée, fuie, mais par l’harmonie retrouvée et déjà le sentiment de la perfection devenu l’attrait souverain, le sens divin « de l’épreuve qui définit et du sacrifice qui régénère » (Nuits, la 3ème).

En novembre 1885, après son baccalauréat de philosophie, sa mère, son frère et lui montent à Paris. Il pense avoir perdu la foi définitivement, il se sent du moins héritier d’un passé magnifique et d’autant plus amoureux de la vie, de toute beauté, resplendissement sensuel de l’ordre. Il pense suivre les cours de licence d’histoire à la Sorbonne mais sa surdité l’oblige à y renoncer aussitôt. Alors il se livre à son double plaisir, « littératurite, philosophite », comme il dira. Des heures dans les bibliothèques, il s’enivre de toute poésie, il se gave de philosophie à la recherche d’une solution au problème de la connaissance, qui le tracasse. Mais très vite il a compris qu’une seule voie lui restait ouverte pour « agir et servir », le journalisme. Il s’y lance.

Dès 1886, alors qu’il n’a pas 18 ans et sort à peine de sa province, ses premiers articles de critique philosophique sont acceptés, remarqués, célébrés comme ceux d’un maître de la sagesse et des lettres. Jamais homme n’aura tant lu, tant retenu, mais surtout si vite et si bien jugé toute lecture.

Dans ces premières années de vie parisienne, il a tenté encore de retrouver la foi. Sa correspondance avec l’abbé Penon en témoigne. N’a-t-il pas rencontré sur son conseil, entre autres prêtres de la capitale, le célèbre abbé Huvelin, dans le même moment où celui-ci convertissait Charles de Foucauld (oct. 1886) ? Las, ces essais infructueux ne firent que durcir son scepticisme en une sorte de négation irritée dont les accents parfois violents révèlent le fond inquiet et douloureux. La foi catholique est la solution totale à l’immense problème de l’ordre, il le reconnaît, mais il faut l’avoir. Et il ne l’a pas…

Ce rôle de journaliste et de critique lui parait un grave magistère qu’il entend exercer avec honneur. Cette autorité sur les esprits de ceux qui le lisent lui fait un devoir de se soumettre lui-même, pour eux, à la règle souveraine du beau et du vrai, en attendant que se révèle à lui davantage la règle du bien.

Un dévouement commence à naître, dans le rayonnement de son meilleur ami, le splendide Amouretti, royaliste et catholique ardent : la défense du pays réel, de ses provinces, de ses libertés, contre la centralisation et l’uniformisme jacobins, donc contre la démocratie.

Le romantisme surmonté, retour au classicisme

Durant ces dix premières années de vie parisienne, pour une bonne part abandonnées aux caprices de l’amour et pour une autre, meilleure, vouées à la recherche du beau en littérature, Charles Maurras se détacha du romantisme auquel paraissaient le livrer toutes ses passions et, sans jamais l’oublier, se voulut et rendit classique.

D’Athènes à Florence, où il voyage ensuite, et au Louvre où les Antiquités grecques le fascinent, Maurras poursuit cette lente conquête et cette victoire de la Raison sur le sentiment, ce triomphe vibrant de l’harmonie qui n’est pas et ne sera jamais la brutale substitution d’un ordre tout abstrait et contraint à la spontanéité des sentiments et au charme de la vie…

Un livre demeure l’antidote de ce mal éternel que toute jeunesse connaît et connaîtra, Les Amants de Venise. Maurras y reconstitue avec un soin de détective, y raconte comme un romancier, le fait vrai, le drame historique, lyrique, sordide, que George Sand et Musset vécurent à Venise en 1834. Et qu’on résume, le plus prosaïquement du monde, en la trahison de celui-ci par celle-là, au profit de l’obèse Docteur Pagello. Mais trahison couverte et recouverte de tous les oripeaux grandioses de l’Amour et du Dieu des romantiques ! En George Sand, cible de choix, il fouaille les invocations hypocrites au Dieu de la conscience et découvre là-dessous les pires passions, les abandons vulgaires, le constant mensonge d’une créature odieuse qui se farde et se voue un culte à elle-même, mais qui se détruit en s’exaltant.

Maurras donc y met à nu ce fameux sentiment de l’amour, son mensonge, son inexistence même quand il n’a point d’autre règle ni d’autre fin que lui-même. C’est la démonstration par l’absurde, par la honte, par l’odieux, que « l’amour n’est pas un dieu », ni le souverain bien ni le plaisir de l’homme mais un désir qui ne vaut que par la perfection de son objet et la vérité de son mouvement.

contre l’anarchie religieuse, catholicisme et positivisme

Parallèlement au beau succès de sa « littératurite », Maurras tentait une autre avancée, de « philosophite », qui échoua, ou du moins qui ne le mena pas au terme désiré. Mettre de l’ordre dans ses sentiments supposait, imposait d’en mettre également dans ses idées. Maurras ambitionna donc, dans la perte de son Catholicisme, d’apprendre des philosophes quel est l’ordre du monde et de l’au-delà du monde.

LA CRITIQUE DU MORALISME KANTIEN

Maurras partit perdant, dès sa jeunesse, dans cette quête de la sagesse suprême. Dès cette époque, il admit malheureusement le criticisme kantien auquel, nolens volens, il demeurera toujours asservi. Il a ratifié, les yeux bandés, la Critique de la Raison Pure. Il en gardera la conviction que la raison humaine ne peut légitimement dépasser les frontières du monde sensible et bâtir une « métaphysique ». L’homme ne peut donc rien connaître de Dieu, de ses perfections, ni de la création du monde ni de la Providence qui le mène, rien ! Kant et ses grands Allemands ont rendu pour la vie Maurras agnostique !

S’il critique Kant, et avec quelle virulence, ce sera de ne pas maintenir son scepticisme transcendantal jusqu’au bout et de lui faire une entorse grossière en accordant à la loi morale émanée de la conscience individuelle le caractère nécessaire et intangible qu’il dénie à la vérité métaphysique que démontre la raison à partir de la nature des choses ! Ce dogmatisme moral, qui fait reposer l’existence de Dieu, de la justice éternelle et de toute grâce, sur les pures affirmations de la conscience, est dérisoire. Le Dieu de la Conscience de Kant n’a pas plus de droit à l’existence que le Premier Moteur d’Aristote ou le Bien de Platon. Or il est cent fois plus dangereux !

Charles Jundzill, dans L’Avenir de l’Intelligence, ce jeune homme qui avoue son « besoin rigoureux de manquer de Dieu », ressemble au Maurras de 1902 comme un frère. Il conclut, provisoirement, à la nécessaire hygiène mentale du refus de toute croyance comme de toute métaphysique pour raison garder, pour servir la civilisation sans obstacle transcendant, ni religieux ni moral, pour défendre tout simplement la vie, qui est bonne, belle, délicieuse, contre toutes les forces de mort conjurées sans cesse à sa souillure et à sa destruction, fût-ce contre un Dieu sophistiqué !

LA CRITIQUE DE LA FOLIE RELIGIEUSE

On connaît son irritation contre « le funeste Pascal », lequel humilie la raison, seule faculté humaine qui conserve un certain contrôle sur son propre exercice, pour exalter la foi, la confiance au témoignage d’autrui, qui est bien de toutes les certitudes la plus inconsistante et la plus pernicieuse. « Pascal lu de bonne heure, avant quinze ans, déposa en moi un germe que je peux appeler pré-kantien et qui fut le principe de mes premières mises en question métaphysiques et religieuses. » Sans parler du « cœur » pascalien dont les intuitions se chargent de tant d’aveuglement et de caprices ! Et Fénelon est aussi pernicieux.

À mesure qu’il se détache du romantisme, c’est Jean-Jacques Rousseau que Maurras en vient à dénoncer comme le plus grand destructeur de la civilisation et le père de toute anarchie politique, avec sa Profession du Vicaire Savoyard. « On prétend que Rousseau ralluma le sentiment religieux ? Il l’affadit, l’amollit, le relâcha, le décomposa. » (L’Allée des Philosophes)

Il accable Rousseau parce qu’il voit dans la Révolution Française la suite naturelle et la mise en application de ses rêves et de ses bons sentiments tout inspirés de la religion huguenote. Remontant à la source de l’anarchie religieuse, Maurras accuse Luther et Calvin, les deux mauvais génies de la Réforme protestante, les inventeurs du plus dissolvant des principes, celui du libre-examen.

Luther souleva la barbarie germanique contre le monde latin, l’Homme Allemand contre Rome, prônant au nom de l’Évangile la pire des révoltes, « la sédition de l’individu contre l’espèce ».

La Raison que Maurras célèbre dans La Naissance de Minerve réplique à la Prière sur l’Acropole de Renan, sait ordonner et composer les êtres divers, leurs appétits, leurs lois.

C’est le sens de la suite de contes aux allures licencieuses ou iconoclastes du Chemin de Paradis. « Religions, Voluptés, Harmonies » forment les trois grâces de la vie humaine qu’il ne faudrait point mutiler sans quelque grave nécessité. Mais la recherche ici-bas du bien absolu, du plaisir parfait, de l’Infini, n’est qu’un leurre qui renvoie le civilisé à la barbarie ! Tout cela dépasse l’homme et demeure hors de ses prises. Il ne saurait se croire un dieu ni tenter de l’être sans périr. [Cf. L’étude du Chemin de Paradis, 1986, où l’abbé de Nantes sut percer le véritable secret de ces contes : la haine de Jésus-Christ, au cours des conférences du camp : Maurras face à Jésus-Christ et de la récollection de la Toussaint.]

Il croit, il feint de croire que le mépris de l’ordre et de la raison, que l’Antiquité païenne adorait, vient du Christ ! Une page frémissante d’Anthinéa, qui date de son voyage d’Athènes en 1896, le proclame avec une déchirante fureur. L’anarchie sociale, qui débride tous les égoïsmes, détruit les hiérarchies protectrices et rompt « cette immense réciprocité de services » en laquelle consiste toute communauté humaine, c’est l’Évangile qui l’a répandue dans le monde ! Tel est le sens du Conte des Serviteurs. Il insulte ce « Christ hébreu » par lequel la civilisation antique a péri ; raccourci détestable qui fait de la Révolution l’héritière directe et exclusive de Jésus ! Il méprise et récuse les « turbulentes Écritures orientales », et ailleurs les « quatre juifs obscurs », auteurs des Évangiles, qu’il rend trop vite, et combien à tort ! responsables de toutes les insurrections modernes et de toutes les frénésies religieuses qui osent se réclamer de nos Livres Saints… « Avec votre religion, lâchera un jour Maurras à Louis Dimier, il faut que l’on vous dise que, depuis dix-huit cents ans, vous avez étrangement sali le monde ! »

L’ÉGLISE CATHOLIQUE SEULE…

L’Église romaine contre le Christ hébreu. Maurras pensait, avec toute sa génération, que la Bible venue d’Orient était un recueil de prédications anarchiques du genre des prophéties apocalyptiques de Lamennais, que l’Évangile était une charte de subversion sociale, comme le dira Sangnier, et que Jésus était le prêtre et le prophète du romantisme et de l’anarchie que décrivait scientifiquement (?) Renan, à l’image d’un Rousseau ou d’un Tolstoï. Il louait l’Église d’avoir étouffé la voix de ce Christ et savamment atténué son message par amour de l’ordre humain. L’Église a trahi Jésus ? Eh, fort heureusement ! répondait-il en substance, sans même songer à en discuter le principe, sans s’attarder à l’examiner de près.

Quoi qu’il en soit des excuses qu’ait eues Maurras à identifier Jésus avec l’image bizarre et subversive qui en régnait alors, et le Dieu de la Bible avec le garant de l’orgueil juif ou allemand, ou musulman, ou démocrate-chrétien, et quoi qu’il en soit des regrets qu’il en ait exprimés plus tard, nous ne pouvons admettre la confusion du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ avec toutes les créations mensongères de l’orgueil humain. Un Maurras ne devait pas s’y laisser prendre. Il a frappé son Dieu et notre Dieu, ce fut une erreur et une faute dont ses adversaires d’ailleurs, idolâtres de toutes espèces, tireront le meilleur parti contre lui et contre nous.

Maurras excepte de sa vindicte l’Église catholique, et l’Église catholique romaine seule, parce que dans le Catholicisme seul et le Catholicisme traditionnel, dogmatique, discipliné, autoritaire, l’idée de Dieu est « organisée »… Maurras veut dire par là que cet Absolu ne s’impose pas sans preuve, qu’il n’est pas abandonné sans contrôle à l’imagination individuelle, qu’il n’entre pas n’importe comment dans la réalité humaine pour la faire voler en éclats.

Cette « organisation », en un temps où Romantisme, Individualisme, Libéralisme et charlatanismes en tous genres, la vilipendaient, la détestaient et ne rêvaient que de la détruire, Maurras, lui, l’admire profondément et la déclare seule digne de confiance, sous sa forme la plus serrée, la plus fidèle, d’un catholicisme intégral, celui du Syllabus, surtout pas gallican mais pleinement romain.

… OU L’EMPIRISME ORGANISATEUR

Beaucoup d’hommes aujourd’hui ont perdu la foi catholique ; bien plus, « toute interprétation théologique du monde et de l’homme leur est insupportable ». « Seulement, Dieu éliminé, subsistent les besoins intellectuels, moraux et politiques qui sont naturels à tout homme civilisé, et auxquels l’idée catholique de Dieu a longtemps correspondu avec plénitude ».

Vont-ils sombrer dans l’anarchie ? Les meilleurs y répugnent. « Si vous croyez à l’Absolu, soyez franchement catholiques, criait à ces gens-là Charles Jundzill. Si vous n’y croyez pas, il faut tenter comme nous le tentons, de tout reconstruire sans l’Absolu ». Avec Auguste Comte, il veut dresser Le Plan des travaux scientifiques nécessaires pour réorganiser la société.

Ce Positivisme est à entendre strictement dans le sens d’une pure observation des phénomènes et d’une induction simple de leurs lois constatées. Ainsi les hommes modernes doivent-ils parvenir modestement à une « synthèse subjective » sur laquelle ils puissent tous se trouver d’accord.

C’est à Sainte-Beuve, dès 1898, en dix pages magistrales de son court traité, Trois Idées Politiques, qu’il demande la parfaite méthode scientifique sur laquelle puissent se réconcilier « les partis de droite, catholiques » et les « gauches, radicaux, anticléricaux », la Vieille France et la France Moderne. Tous, échappant à la guerre franco-française, régleront d’un commun accord « l’immense question de l’ordre ». Car Sainte-Beuve enseigne à pratiquer l’analyse et la recomposition, la découverte objective des conditions de l’ordre humain et des moyens de sa restauration ou de son progrès, de manière toute empirique. Ce sera, au regard de l’histoire, l’empirisme organisateur, méthode maurrassienne par excellence.

Cet empirisme organisateur de Maurras dont la règle d’or consiste à savoir le bien et le mal politiques en analysant le présent à la lumière du passé, pour prévoir où l’on va, afin de pourvoir aux meilleures solutions. Il s’induit de cette méthode une sagesse politique profondément ancrée dans l’histoire nationale, dégagée de tous les a priori idéologiques, comme de toute passion démocratique – c’est un empirisme, et cependant capable de faire des choix clairs et d’en rendre raison – cet empirisme est organisateur. Point 96 de l’ancienne des 150 points de la phalange.

le nationalisme de raison

Charles Maurras a d’abord conquis la maîtrise de son style ; dès 1888 c’est chose faite. Il s’est imposé une maîtrise de ses sentiments suffisante pour vivre et agir dès les années 90-95. Il acquit alors la maîtrise du raisonnement par la fixation de sa méthode, l’empirisme organisateur. Dès 1898, il le propose comme moyen d’union des esprits les plus divers, et de réconciliation des Français. C’est alors qu’il est soudain jeté dans la politique militante et se trouve appelé à étendre sa maîtrise bien au-delà de lui-même et devenir un chef, le plus français des Français.

De son Voyage d’Athènes en 1896 il a rapporté, en même temps que l’impression forte du triomphe de la Raison créatrice d’ordre et de beauté, deux leçons politiques majeures. Celle de la décadence brusque d’Athènes, dont il remarque qu’elle coïncida avec l’avènement de la démocratie. Et celle du réveil des nationalismes dans le monde, brutalement manifesté au jeune reporter parisien dans ces premiers Jeux Olympiques que le baron de Coubertin restaurait précisément dans un sentiment mondialiste !

« UNE AFFAIRE D’ÉTAT »

L’affaire Dreyfus lui révéla bientôt le problème politique dans toute son étendue. « Cette guerre civile sèche décida de notre destin ».

Au dernier jour d’août 1897, rentré précipitamment en France, de Londres où il contemplait les frises du Parthénon, à l’annonce du suicide du Colonel Henry, Charles Maurras, d’un coup d’œil , juge la situation et sauve la bataille. Dans La Gazette de France, le 6 septembre, il écrit un article unique dans la presse, Le Premier Sang, et pour la défense de la Patrie, n’ayant plus en pensée que ces « cinq cent mille jeunes Français couchés, froids et sanglants, sur leur terre mal défendue », il « entre en politique comme on entre en religion ». Il n’en sortira cinquante ans plus tard, en 1945, que pour entrer en prison perpétuelle ; ce sera, comme il le criera à ses juges, « la revanche de Dreyfus ».

Maurras va à l’essentiel : innocent ou non, Dreyfus a été régulièrement jugé et rejugé. Il est intenable et impie de mettre par principe la Patrie d’un côté, la Justice de l’autre. Il est criminel d’appeler l’opinion à trancher souverainement du juste et de l’injuste.

En 1899, dans l’un des premiers numéros de la Revue d’Action française, la fameuse « revue grise », Maurras osa, au scandale de ses amis tous républicains, ces paroles impies : « Je ne suis pas républicain. Je tiens la doctrine républicaine pour absurde et puérile, le fait républicain pour le dernier degré de la décadence française ». Et notre XXe siècle s’est ouvert à l’Action française sur ce cri qu’on y répétera jusqu’à ce jour à l’annonce de tous les épouvantables malheurs français: « La démocratie, c’est le mal, la démocratie, c’est la mort ! »

Maurras retrouve là et fait se retrouver dans leurs disciples par lui redevenus amis, toute une galerie de « positivistes » aussi divers que Renan, Anatole France, Proudhon, Littré, Fustel de Coulanges, d’accord avec les catholiques traditionnels Bonald, Maistre, Le Play, sans compter les nouveaux venus, La Tour du Pin, Barrés, et Vaugeois et Pujo, et Montesquiou. Hier irréconciliables, spinozistes, nietzschéens, kantiens, ou catholiques, les voilà réunis ; « aile droite » et « aile gauche », où Maurras situe modestement son agnosticisme libertin, réconciliés dans la science des faits et dans l’art possible de leur organisation la plus favorable à la Cité des hommes.

Ce qui était neuf, dans cette Action française, c’était que la politique nationaliste y était d’abord une réflexion intellectuelle, scientifique, sur les conditions du salut de la France, hic et nunc. On se dit peu à peu qu’il doit y avoir en politique une vérité ou une erreur, reconnaissable à leurs gains ou leurs pertes, à peu près comme l’arbre aux bons et aux mauvais fruits dans la parabole de l’Évangile. Telle sera la règle de l’Empirisme Organisateur. (CRC n° 108)

Monarchiste de raison ? Certes, et c’est sa nouveauté. Mais le cœur a suivi ! Quand ils eurent rencontré le duc d’Orléans, en 1902, dans son exil, « le grand et noble Prince » qui avait su prendre dès 1897 dans son Manifeste de San Remo « la position nationaliste », « pour l’armée, pour la patrie, contre les métèques et les juifs », et « pour le peuple de France » contre « la fortune anonyme et vagabonde », Maurras et ses amis devinrent de fervents royalistes.

« LES QUATRE ÉTATS CONFÉDÉRÉS. »

Publiant en 1889-1900 Les Monods peints par eux-mêmes, Maurras étendait, étoffait les dénonciations trop étroites et viscérales de Drumont. Il démontrait que la France était aux mains de quatre états confédérés, juif, protestant, maçon et métèque. C’était d’une criante vérité. Ce le fut moins à certains moments heureux de resserrement de notre Unité nationale, et Maurras sut s’en réjouir le premier, n’ayant aucune haine de peau ni d’idée contre personne.

Les Quatre États Confédérés ont leurs clients, leurs commis et grands commis. Mais ils ont eu soin de domestiquer d’abord la classe des gens de Lettres. Maurras raconte et explique la triste histoire de cette domestication dans L’Avenir de l’Intelligence (1905). Indépendants et occupés d’autre chose que de politique dans l’Ancienne France, les écrivains du XVIIIe siècle, devenus « Philosophes », ont prétendu conseiller et diriger l’État. Ce fut leur perte. Les oligarchies financières devenues maîtresses du Pouvoir sauront leur donner l’illusion de gouverner, en les payant. Maurras analyse avec minutie les mécanismes de l’édition et les montre de plus en plus étroitement agencés par l’or et à son unique profit.

Alors, le Maître du nationalisme français appelle au libre combat des idées une nouvelle génération d’hommes de Lettres, qui consentiraient au sacrifice nécessaire et renonceraient à l’Or, aux promotions et aux honneurs que seul l’Or accorde, pour se faire les professeurs désintéressés du Patriotisme, les libérateurs de l’esprit français.

 

Éloge du catholicisme

LE DILEMME DE MARC SANGNIER

Avec une pugnacité infatigable, jouteur étincelant et profondément bon, il s’en prend à tous les Princes des Nuées, comme il les appelle, à tous ceux qui détruisent comme des frénétiques le réel, la vie tendre et fragile des êtres humains, pour que règnent seules les Idées froides et mortelles dont ils font leur absolu, Moloch auxquels tout doit être sacrifié. Contre leur complot, Maurras rêve d’une Ligue de tous les défenseurs du réel, de l’Ordre, des Patries et des familles, qu’ils soient positivistes comme lui, à défaut de mieux, agnostiques, chrétiens, pourvu qu’ils soient catholiques.

Catholiques ? Oui ! Car en face de ces idéologies monstrueuses, Maurras se sent le cœur catholique, c’est-à-dire « composé de païen et de chrétien », entendons pour ne pas sursauter d’indignation, tout à la fois respectueux de la raison et du mystère, de la nature et de la religion. Ce qui est absolument exclu ici, c’est un christianisme furieux de détruire la civilisation humaine, l’ordre de la création. Ce qui est en revanche accepté et admiré, c’est le catholicisme bien acclimaté sur la terre des hommes, conçu pour tout embrasser sans rien bannir ni rien mépriser, « beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme »…

« Je suis Romain », proclamera-t-il avec ferveur tout au long de son admirable Préface au Dilemme de Marc Sangnier, exprimant le plus extraordinaire hommage qui ait jamais été adressé par un incroyant à l’Église Catholique, héritière de la civilisation la plus haute, fondatrice de Chrétientés et mère souveraine du genre humain. Ce n’est pas un hommage à la grâce divine, invisible aux yeux humains. C’est un hommage à ses effets incomparables dans l’histoire.

« Je suis Romain, parce que Rome, la Rome des prêtres et des papes, a donné la solidité éternelle du sentiment, des mœurs, de la langue, du culte, à l’œuvre politique des généraux, des administrateurs et des juges romains… Je suis Romain dès que j’abonde en mon être historique, intellectuel et moral… Par ce trésor dont elle a reçu d’Athènes et transmis à notre Paris le dépôt, Rome signifie sans conteste la civilisation et l’humanité. Je suis Romain, je suis humain ; deux propositions identiques »

L’Action française est apte à la discussion et au combat politiques contre le régime républicain et l’utopie démocratique ; mais elle serait désarmée, incompétente, pour en contester et en détruire les fondements religieux ou métaphysiques. C’est le Catholicisme qui a rendu ce service millénaire à la civilisation latine et qui le rendra encore aujourd’hui. Dans le Dilemme de Marc Sangnier, Maurras démontre au fondateur du Sillon la stupidité de ses rêveries politiques, mais pour ce qui est de ses principes évangéliques, l’agnostique ne peut que se tourner vers l’Église et prédire à l’autre que Rome le condamnera au nom de son Seigneur et Dieu, Jésus-Christ, dont il est certainement hérétique ! Ce qui advint d’ailleurs peu après, par la Lettre sur le Sillon de saint Pie X, le 25 août 1910, comme prévu.

 

“le parti de la France”

Au Congrès de 1910, Maurras pose la question : Si le coup de force est possible ? et il répond par l’affirmative, en spécifiant que ce sera une vraie et décisive « révolution ».

Saint Pie X vient de briser l’audace conquérante du Sillon, où l’Évangile passe pour la Charte de la Démocratie Moderne Universelle.

La contre-attaque évangélique et républicaine fut vive. Bientôt les Modernistes et Progressistes vont jeter des flammes sur ces propos sacrilèges et réclameront les pires peines ecclésiastiques pour cela contre Maurras et les catholiques d’Action française.

Les « blasphèmes » de Maurras interjetaient dans cette lutte une perturbation déplorable. Ils venaient confirmer dans ce camp même du catholicisme intégral la prétention des progressistes de l’autre camp à posséder le vrai Christ. Ainsi les catholiques d’AF paraissaient de mauvais chrétiens, aux dires de leur propre maître, et la haine des révolutionnaires pour Maurras pouvait se justifier par ses propres paroles et paraître inspirée par l’amour de Jésus ! Pie X avait condamné l’immanentisme religieux et l’évangélisme démocratique au nom de l’Église ? Les voici qui s’élevaient contre Pie X et Maurras et l’Église au nom du Christ ! Nous vivons encore en plein dans ce drame.

le lutteur solitaire, le vieux prisonnier

Le complot reprendra sous Pie XI, démocrate et germanophile ; lcondamnation de l’Action Française par Pie XI tomba, le 25 août 1926 et aboutira à l’excommunication des Ligueurs et lecteurs de l’Action Française. Sous prétexte que les catholiques ne peuvent collaborer sans danger avec des agnostiques, blasphémateurs du Christ, contempteurs des Écritures, qui prêchent la violence révolutionnaire et veulent restaurer l’esclavage, etc.

Condamné de Rome, désavoué de son Roi, lutteur solitaire, Maurras ne voyait dans ce déni de justice qu’« une petite affaire en regard du bienfait séculaire du catholicisme ».

Maurras fit 200 jours de prison en 1937 pour avoir menacé de mort les députés qui allaient voter la guerre à l’Italie, et cette année-là du moins la guerre fut évitée. Les désarmeurs-bellicistes enfin l’emportèrent ; ce fut 39-40, la guerre, l’exode, l’invasion. « La divine surprise », au fond de l’abîme où nous tombions d’une chute verticale, ce fut la restauration d’un État national par le Maréchal Pétain.

Dans son Bienheureux Pie X Sauveur de la France, livre dont il disait qu’il était son testament spirituel, Maurras a dressé un saisissant diptyque. Pie X, en sanctionnant le Sillon et bénissant la contre-révolution d’Action française, contribua puissamment à la victoire de 1918, qui fut celle du monde latin et catholique contre le monde germanique et luthérien. À l’inverse Pie XI, en condamnant l’Action Française et livrant l’Église aux penseurs modernistes et démocrates, a corrompu le mental et le moral de notre pays. C’est par lui qu’enfin, et malgré ses ultimes efforts de redressement, l’Europe se trouvera livrée au nazisme puis au communisme.

Puis vint la Libération, nouvelle invasion, nouvelles ruines, et la satanique surprise du retour des naufrageurs. L’AF disparaît le 24 août 1944, Maurras est arrêté, jugé en janvier 45, et condamné comme collaborateur de l’Allemagne nazie, lui ! à la prison perpétuelle. La plupart des cadres de l’AF connaissent les horreurs de l’Épuration ou l’état de morts vivants de l’Indignité Nationale. De sa prison de Clairvaux Maurras lutte, pour la Vérité, pour la Justice. Ses lettres, articles, livres, sont la source d’énergie qui appelle la résurrection de l’Action française dans ces années terribles où le monde chavire et sombre sous l’oppression des nouveaux barbares judéo-communistes.

Pie X avait confié à sa mère, en 1911 : « Je bénis son œuvre… Elle aboutira » et en secret : « Votre fils a rendu trop de services à l’Église pour qu’il ne recouvre pas la foi ». J’ai sous les yeux la lettre du 26 mars 1952 où il me rappelle la prophétie, dans un graphisme plein de sérénité, de force, d’allégresse : « Oui Pie X l’a vu, promis, prédit, l’AF aboutira ». Cette promesse faite à sa mère par le plus humble et le plus sage, le plus saint des Papes, il la tint, quand il la connut, en 1922, pour infaillible. C’était l’Église, qui détenait donc les clés de l’avenir, qui communiquait par la voix du Pontife quelque chose de son indéfectibilité triomphante à l’œuvre de restauration nationale du « plus français des Français » !

Maurras n’a pas réussi à cause de ses blasphèmes, de son manque de foi ; il se convertira mais ne sera plus de ce monde. Son œuvre aboutira par une Action Française vraiment catholique. (Frère Bruno, camp 1986 et notre Père, Congrès 1986)

Ses disciples se convertissent. Et lui ? Qu’il soit resté longtemps sur le seuil du sanctuaire, timide, hésitant, bouleversé, trop de confidences le donnent à penser. Réticent devant « le mythe tentateur », il trouvait ce monde invisible trop beau, trop merveilleux pour une âme lourde, obscure, indigne. On le croyait rebelle à la grâce par orgueil, tout au moins indifférent ou trop passionné par d’autres soins.

L’étape où je l’ai connu et approché, fut celle de l’anarchie dans l’Église même, livrée à ce que Maurras détestait le plus. Eh ! bien, jamais il ne prit son parti de cette décadence, jamais il ne crut à la désintégration de l’Église. Lorsque je le rencontrai à la clinique Saint-Grégoire de Tours, je constatai chez lui un respect, une vénération pour l’Église et sa hiérarchie qui firent la stupéfaction du jeune prêtre que j’étais. On sentait qu’il n’y avait pour lui rien de plus élevé, de plus précieux ni de plus solide, encore aujourd’hui et demain, que l’Église Catholique !

Reste le problème du mal qui l’a hanté, qui a labouré sa chair et son esprit. C’est cela qu’il dira au prêtre chargé de s’occuper de son âme à la clinique de Tours, c’est cela dont il gémira jusqu’à la dernière fin. Et puis, la splendeur élevée et inattendue de nos mystères, trop contraires à une certaine harmonie de la nature païenne, à la limite rassurante de l’humanisme grec. L’abjection du Christ, l’ignominie de la croix, la mystique de l’échec et de la souffrance lui étaient des obstacles. Il attendait « gisant dans les ténèbres » selon sa traduction à lui, qui étonna Pie XI, du « qui in tenebris sedent » de notre Benedictus, et il enviait ceux qui avaient trouvé la lumière, avec une sympathie quelque peu jalouse, une respectueuse familiarité, bien proches de la Foi.

Enfin, « il entendit quelqu’un venir ». C’était le 16 novembre 1952. Il avait quatre-vingt quatre ans.

Il avait composé en prison à Clairvaux, en 1950, cette Prière de la Fin, où il réussit à enclore tout le drame religieux de son existence, tout son combat, toute sa mission terrestre. Prière qu’il dédie à la génération future, celle qui retrouvera la foi perdue dans la suite logique et providentielle de son retour à l’ordre humain politique, celle qui, choisissant Charles Maurras pour son premier maître humain, se laissera conduire par lui jusqu’au seuil du sanctuaire, jusqu’à l’Église Catholique Romaine :

PRIÈRE DE LA FIN

Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.

Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel,
La France des Bourbons, de Mesdames Marie,
Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel.

Notre Paris jamais ne rompit avec Rome.
Rome d’Athènes en fleur a récolté le fruit,
Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme,
Les visages divins qui sortent de ma nuit :

Car, Seigneur, je ne sais qui vous êtes.
J’ignore Quel est cet artisan du vivre et du mourir,
Au cœur appelé mien quelles ondes sonores
Ont dit ou contredit son éternel désir

Et je ne comprends rien à l’être de mon être,
Tant de Dieux ennemis se le sont disputé !
Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,
Je cherche en y tombant la même vérité.

Écoutez ce besoin de comprendre pour croire !
Est-il un sens aux mots que je profère ? Est-il,
Outre leur labyrinthe, une porte de gloire ?
Ariane me manque et je n’ai pas son fil.

Comment croire, Seigneur, pour une âme que traîne
Son obscur appétit des lumières du jour ?
Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.

Abbé Georges de Nantes

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