Vraie et fausse laïcité

Vraie et fausse laïcité

Vrai et Fausse laïcité, Philippe Prévost
Vrai et Fausse laïcité, Philippe Prévost, Éditions d’Action Française 

Nouveauté aux Éditions d’Action Française : Vraie et fausse laïcité, Philippe Prévost, 13 €.

Fidèle à sa volonté de donner une véritable colonne vertébrale intellectuelle à ses amis, Philippe Prévost, historien et essayiste, militant d’AF depuis de longues années, publie un essai aux jeunes éditions d’Action Française.

Charte de la laïcité, polémiques sur le voile ou l’abaya, fête de Hanoucca à l’Elysée, Comme l’a écrit Jean-Marie Mayeur, historien spécialiste de la IIIe République, « Peu de mots sont plus chargés de passion que celui de laïcité ».

Ce concept a deux sens très différents, pour ne pas dire opposés. Un sens traditionnel dérivé de la parole du Christ: « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » et celui donné à partir de la Révolution ou sous prétexte d’unité, tout a été donné à César et rien à Dieu. 

Ces deux conceptions de la laïcité sont incompatibles contrairement à ce qu’ont cru les partisans du Ralliement et du dernier Concile.

C’est cette histoire mouvementée ou les torts ne sont pas tous du même coté, loin de là, que raconte ce livre… 

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Le Lorrain Barrès

Le Lorrain Barrès

Entretien avec Jean-Marie Cuny et Sylvain Durain à propos du livre Le Lorrain Barrès.

Le lorrain Barrès, couverture du livre
Le lorrain Barrès, Jean Marie Cuny, Nancy, Editions du Verbe Haut, 2023

AF : Messieurs, d’abord merci d’accorder cet entretien à l’Action Française à l’occasion des 100 ans de la mort de Maurice Barrès. Pourriez-vous, tout d’abord, nous dire comment vous en êtes venus à la connaissance de ce « Prince de la jeunesse » ? Qu’est-il pour vous ?

Jean-Marie Cuny : Barrès est né à Charmes (Vosges) le 17 août 1862. Il est mort le 4 décembre 1923 à l’âge de 61 ans après une vie dense et active. Je me suis intéressé à Barrès à travers la lecture de quelques-unes de ses œuvres.

« Prince de la Jeunesse » en son temps, Barrès n’est pas resté méconnu à notre époque, mais la jeunesse actuelle a trouvé d’autres modèles. Son nom est donné à de nombreuses villes de France. Il est pour moi l’auteur de 18 romans. Ses écrits politiques regroupent également 35 titres et ses cahiers forment 11 volumes… Il y a donc de quoi méditer sur ces pages. Ce Lorrain a œuvré d’importance pour l’identité forte du pays. De plus, il est à l’origine de la Fête Nationale de la France (1920) qui est plus souhaitable que le 14 juillet, bien sûr !

Sylvain Durain : Je suis venu assez tard à Maurice Barrès. D’abord intéressé par Jacques Bainville par le truchement de Pierre Hillard, je me suis plongé dans son œuvre si riche et prophétique. La réédition des Conséquences politiques de la paix aux Editions du Verbe Haut avec une préface de Pierre Hillard va dans ce sens. Barrès m’est venu par son côté Lorrain et plus particulièrement nancéien. En effet, j’ai travaillé en tant que maître d’internat dans le lycée dans lequel Barrès a poursuivi une partie de ses études et dont il parle dans les Déracinés. Puis sont venus ses autres livres.

Le Lorrain Barrès : les attaches régionales du nationaliste

AF : Vous venez d’éditer aux éditions du Verbe Haut un livre consacré à notre auteur, Le Lorrain Barrès, écrit par monsieur Jean-Marie Cuny, spécialiste de l’histoire lorraine. Une telle étude manquait-elle pour mieux appréhender Maurice Barrès ? S’est-on trop focalisé sur son nationalisme et trop peu sur son régionalisme ?

Jean-Marie Cuny : Barrès revendiquait volontiers et sans cesse son identité lorraine, même si ses œuvres nombreuses comportent seulement trois ouvrages concernant la Lorraine : Colette Baudoche (1909) histoire d’une jeune fille de Metz durant l’annexion au Reich ; Le 2 novembre en Lorraine, ouvrage évoquant la terre et les morts ; La Vallée de la Moselle qui contient de belles pages descriptives tout au long du parcours de la rivière qui prend sa source au col de Bussang, dans les Vosges et la Colline Inspirée, roman qui a connu (et connaît toujours) un très grand succès (1914).Mais l’œuvre littéraire de Barrès est essentiellement nationale.

Sylvain Durain : L’aspect régionaliste, comme le rappelle très bien Jean-Marie, a été trop délaissé au profit de son nationalisme si particulier. J’ai découvert, en grand partie grâce à Monsieur Cuny, son attachement viscéral et profond à sa région de naissance. C’est en se cherchant qu’il a retrouvé ses racines et c’est à partir de cet enracinement qu’il est devenu l’homme que l’on connaît.

AF : En quoi Maurice Barrès est-il Lorrain ? Est-ce une identité qu’il reconstruira a posteriori de son évolution, ou vécut-il toujours de cette réalité ?

Jean-Marie Cuny : Maurice Barrès est Lorrain de naissance, dont le berceau natal est à Charmes dans les Vosges. Mais c’est surtout dans son environnement parisien, politique et littéraire, qu’il a pris conscience de son identité lorraine.

Sylvain Durain : Selon moi, Barrès est Lorrain de naissance, certes, mais il est Lorrain car il a arpenté les routes, les chemins, les villages, il a senti et appréhendé l’âme lorraine que peu connaisse. Jean-Marie l’évoque très bien dans son livre. Que serait être lorrain mais ne rien connaître de sa région ? N’en avoir aucun souvenir ni aucune réminiscence ? Ce serait l’identité mondialiste, celle du « je suis chez moi partout ». Ce n’est pas la conception de Barrès.

Barrès, un auteur vraiment germanophobe ?

AF : Nous connaissons bien la germanophobie de Barrès. Comment réussit-il à la concilier avec les héritages germaniques qui parcourent tout de même de larges parties de la Lorraine ?

Jean-Marie Cuny : La germanophobie de Barrès est surtout une protestation vigoureuse contre l’annexion au Reich allemand de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, en 1871. La Lorraine n’a jamais été germanophone. Il y a certes sur son territoire une frontière linguistique avec d’un côté de cette ligne le patois lorrain roman et de l’autre le francique lorrain qui est un héritage de la langue de Charlemagne.

Sylvain Durain : Barrès est très clair à ce sujet, la Lorraine est devenue française, bon gré mal gré, et il faut l’accepter. Je ne suis même pas certain qu’il fût véritablement germanophobe. Comme Bainville, il a compris qui était l’ennemi de l’époque et il le respectait au point de le combattre vigoureusement. Barrès rappelle à plusieurs reprises la trahison des ducs qui nous ont conduit vers la France. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, comme les massacres commis par Richelieu contre la Lorraine et les lorrains, avec potentiellement des dizaines de milliers de morts dans le but défranciser la région. Ma formule, pour sortir de ces impasses, est simple : Nous sommes pour une Lorraine libre dans une France libre. Imaginer une indépendance serait totalement ridicule et jouerait, in fine, le jeu du mondialisme.

Le lorrain Barrès, photographie.
Le lorrain Barrès

Quelles sont les œuvres de Maurice Barrès qui traitent de la Lorraine ?

AF : Quelles sont, parmi ses œuvres, celles qui traitent de sa région natale ?

Jean-Marie Cuny : Barrès est un littéraire. Il n’a pas publié d’ouvrages historiques. Bien sûr, il est fortement question de la Lorraine dans la Colline Inspirée (1914). Dans la Vallée de la Moselle, il relate sa randonnée à bicyclette tout au long de la rivière depuis la source. Enfin Le 2 novembre en Lorraine évoque la terre et les morts dans des pages superbes.

Sylvain Durain : Rien à rajouter à la réponse de Jean-Marie Cuny, si ce n’est que le livre Le Lorrain Barrès permet justement de sortir de ce dont nous parlions. Être enraciné dans sa région pour ensuite se projeter vers la France.

Sainte Jeanne d’Arc : une source d’inspiration originaire de Lorraine

AF: Sainte Jeanne d’Arc tient une place prépondérante dans l’univers barrésien. En quoi, pour lui, incarnait-elle un idéal ?

Jean-Marie Cuny : Jeanne d’Arc, tient une place importante dans l’œuvre et la réflexion de Barrès. Il a longtemps médité sur les lieux où vécut la bonne Lorraine durant son enfance. Barrès a parcouru en tous sens le pays de Domremy, Bermont et son ermitage, Vaucouleurs. Je pense que Maurice Barrès cherchait un thème fort afin de réaliser un roman, mais finalement, il a trouvé l’inspiration sur le haut-lieu de Sion-Vaudémont.

Sylvain Durain : Saint Jeanne d’Arc me semble être un idéal pour Maurice Barrès, peut-être même une quête spirituelle qu’il n’aura jamais atteint mais qui l’a accompagné tout au long de sa vie. Après ses passages douteux dans les univers martinistes et ésotériques par le truchement de Stanilsas de Guaïta, peut-être cherchait-il une « figura christi » à suivre. Nous ne le saurons jamais vraiment car Barrès a politisé son idéal en donnant à la France sa deuxième fête nationale. Pour cela il mérite un immense respect.

Quel est l’héritage du lorrain Barrès dans sa région natale ?

AF : Quelle place tient encore Maurice Barrès en Lorraine ? Peut-il encore être honoré ? Est-il oublié ?

Jean-Marie Cuny : Le nom de Maurice Barrès est maintenu sur les plaques de rues de nombreuses villes de France et de Lorraine, bien sûr. Est-il encore lu ? C’est difficile à juger. Peu de ses œuvres sont rééditées mais son dernier livre La Colline Inspirée est un ouvrage toujours lu et relu aujourd’hui. Quant à la maison de Barrès à Charmes, construite par son grand-père, elle a été léguée à madame Paul Bazin, secrétaire de Philippe Barrès. Cette dame a cédé le fonds Barrès à la Bibliothèque nationale de France, en 1978. Cette demeure aurait mérité d’appartenir au patrimoine national. Hélas, tout a été dispersé.

Sylvain Durain : Maurice Barrès est totalement oublié en France et donc en Lorraine. Avec ce livre de Jean-Marie Cuny, nous tentons de faire revivre le sentiment de fierté d’être Lorrain porté par ce grand homme. Un petit livre jeunesse est également prévu pour la Saint-Nicolas, dont le but est d’introduire les plus jeunes à son œuvre.

AF : Nous vous remercions d’avoir répondu à nos questions et nous invitons nos lecteurs à se procurer au plus vite ce beau livre qui nous permettra de mieux honorer sa mémoire ! Qui vive ? Nos morts !

Sylvain Durain : Un grand merci à vous, les amoureux de la Lorraine peuvent s’abonner à La Nouvelle Revue Lorraine, fondée il y a presque 50 ans par Jean-Marie Cuny. Le livre Le Lorrain Barrèsdédicacé spécialement pour vos lecteurs, est disponible à l’achat sur le site des Éditions du verbe haut, avec un petit mot à nous adresser. Bonne lecture et vive la Lorraine !

Cuny Jean-Marie, Le Lorrain Barrès, Nancy, Editions du Verbe Haut, 2023.

Entretien réalisé par Guillaume Staub

Autres ouvrages à propos de Barrès :

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Salazar : Le consul impavide

Salazar : Le consul impavide

Couverture du livre : Salazar. Le consul Impavide

Salazar. Le consul impavide de Jean-Paul Besse aux éditions Via Romana.

« Depuis Clairvaux, Maurras écrit à Salazar le 31 mars 1951 pour lui dire l’admiration enthousiaste que lui inspirent ses travaux, leur succès, leur triomphe et, l’année suivante, lorsqu’Henri Massis part à Lisbonne pour le rencontrer, il lui transmet un exemplaire dédicacé de la Balance intérieure accompagné de ces mots recueillis à l’occasion d’une visite tourangelle : Vous lui redirez ma vieille admiration, je dirais presque ma tendresse, car il a donné, ou plutôt il a rendu à l’autorité le plus humain des visages.(Olivier Dard, Charles Maurras, le nationaliste intégral, Paris, Dunod, 2023, p. 292)

Notre mouvement entretint longtemps des relations nourries avec celui qui incarna pendant de longues années la politique portugaise de l’Estado novo, à savoir António de Oliveira Salazar, dont une nouvelle biographie vient de sortir aux éditions Via Romana. Cette dernière émane d’un historien dont les nombreuses biographies de qualité nous sont déjà bien connues ; nous ne citerons que celles consacrées à Ménélik II l’Unificateur, soleil de l’Ethiopie, à Niégoch, un Dante slave, ou encore à Elisabeth Féodorovna, princesse martyre, toutes parues aux éditions Via Romana. Nous aimerions aussi évoquer la belle biographie qui nous fit découvrir cet auteur ; celle consacrée à cette magnifique figure que fut Dom Besse : Dom Besse, un bénédictin monarchiste, parue aux éditions de Paris.

A coup sûr, cette biographie de Salazar, tout à fait accessible, servira longtemps de référence. Elle n’est ni trop succincte, ni trop volumineuse : l’essentiel y figure et l’homme, en ses dimensions constitutives, y est justement exposé. Certains éléments, qui mériteraient d’être à nouveau pensés, sont judicieusement mis en avant. Ainsi en est-il, par exemple, du troisième chapitre qui a pour titre « Chrétien social et non démocrate-chrétien » (p. 33). La démocratie chrétienne, qui fleurit après 1945 dans la plupart des pays de l’Ouest, manifesta de fortes différentes au Portugal où elle fut particulièrement conservatrice, c’est-à-dire anti-démocrate, anti-libérale, anti-individualiste et anti-moderniste. Très tôt, en effet, la ligne politique de Salazar fut celle d’un catholicisme intégral qui suivait l’enseignement pontifical et ce, notamment, sur la question sociale : « A vrai dire, à côté de l’influence partiellement maurrassienne que subit la doctrine de Salazar, il faut mentionner le rôle que joua la pensée du remarquable jésuite Louis Taparelli d’Azeglio (1793 – 1862) […], il avait d’abord incliné au traditionalisme philosophique de Joseph de Maistre, Bonald et Lamennais ; cependant il rompit avec ce courant au Collège romain de la Compagnie en devenant thomiste […] Hostile aux faux dogmes de 1789 et au libéralisme que Victor-Emmanuel II acclimatait dans son royaume sous l’influence maçonnique de Cavour, il rejoignait Taine et surtout Le Play, qui influença durablement le catholicisme social » (p. 37).

Nous suivons ainsi Salazar au fil de son histoire ; celle d’un professeur devenu le responsable d’un État allant à contre-courant de tous les autres. Nous y revoyons la mort du roi et l’établissement de ce qui fut appelé l’Estado Novo… Nous sommes plongés dans la manière toute singulière qu’avait Salazar de gouverner, loin du faste et des mondanités. Le chapitre VIII est également fort intéressant où il est question de la vision qu’avait Salazar des relations devant exister entre l’Etat et l’Eglise : « L’âpre et longue négociation d’un concordat entre l’Estado Novo et la papauté montra que Salazar n’était nullement favorable à la soumission du temporel au spirituel. Certes, catholique convaincu, il voulait corriger les abus et les injustices infligés à l’Eglise par la Ire République, violemment anti-cléricale. Il désirait aussi respecter la dignité institutionnelle du christianisme lusitanien » (p. 87). Voulait-il ainsi instaurer une sorte de gallicanisme lusitanien ?

Tout aussi intéressant est le chapitre IX « Louvoyer et maintenir » qui remet en perspective certaines critiques apportées aux décisions prises par Salazar durant les temps extrêmement troublés qui séparent les deux Guerres mondiales : « Que peut faire un pays de taille modeste, à l’écart dans un recoin de l’Europe, mais contrôlant de nombreux territoires outremer, face aux grandes puissances carnassières ? » (p. 93). Toute la question est là ! Que pouvait donc faire Salazar pour servir un pays pris en tenailles entre les grandes puissances montantes ? Quelle attitude ? Quelle alliance ? Comment se maintenir ? Comment assurer les territoires portugais si loin d’Europe ? L’auteur expose clairement la ligne qui fut suivie, faite de fermeté et d’intelligence pratique.

Bref, le nouvel Etat qu’instaura Salazar, fait de grandeurs et de carences, fut tout à fait original, tout à fait singulier, à l’image du personnage. Comment pouvait-il en être autrement ? Ne fut-il pas aussi le fruit de tous les courants qui agitaient le monde ? Certes, sous sa férule le Portugal restât dans un certain archaïsme, l’économie étant encore traditionnelle et l’illettrisme répandu. Mais, le gain ne fut-il pas plus important ? Avec l’absence de grandes crises économiques et loin de la boucherie de la Deuxième guerre mondiale, le peuple ne fut-il pas épargné ? Grâce à lui, le pays ne put-il pas échapper au communisme et aux guerres civiles ? « Pour Salazar, la forte maxime de Donoso Cortès (1809 – 1853),  gouverner, c’est résister, n’était pas périmée. Sans doute avait-il lu ces lignes du philosophe espagnol de l’Histoire : Quand la légalité suffit pour sauver la société, la légalité ; quand elle ne suffit pas, la dictature […] Je choisis la dictature qui vient d’en haut, celle du sabre, plutôt que celle du poignard parce que plus noble » (p. 165).

Voilà donc une très belle biographie qui nous replonge dans cette passionnante page de l’histoire Portugaise : Deus, Pátria e Familia ! Salazar ? Présent !

Lien pour vous procurer le livre : Salazar. Le consul impavide

Staub Guillaume

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Autour de Jeanne d’Arc, réédition par « La délégation des siècles »

Autour de Jeanne d’Arc, réédition par « La délégation des siècles »

Réédition d'Autour de Jeanne d'Arc

Il faut s’imaginer l’état des forces morales de la nation en 1917 pour mesurer l’importance que peuvent avoir l’œuvre et la démarche d’un écrivain soucieux de leur porter secours. À cette date, en pleine guerre, chaque foyer français est privé d’un frère, d’un mari, d’un fils, tous mobilisés pour l’immense combat qui se joue pour la défense de la patrie. Nous connaissons la souffrance des Poilus, la rigueur de leur engagement, la dureté de leur quotidien et l’effroyable tension qui s’abat et dégrade leur énergie. Nous savons par exemple que beaucoup de ceux qui reviendront des tranchées n’en reviendront pas indemnes psychologiquement. Côté Poilus, c’est entendu : tout était terrible. Ce que l’on pense moins souvent à honorer de nos souvenirs, c’est la cruauté de l’épreuve imposée par la guerre aux épouses, aux parents, aux enfants restés dans les foyers. Ils vivaient dans la peur quotidienne de recevoir un jour le courrier qui leur annoncerait la mort du cher parent.

En 1917, Maurice Barrès convoque Jeanne d’Arc au chevet de la France

Alors les jeunes filles, les épouses, les familles, pour mieux s’associer à leur manière au combat mené là-bas par les hommes, avaient également besoin qu’on leur donne les nourritures morales et spirituelles indispensables pour soutenir une pareille épreuve. L’écrivain Maurice Barrès, très sensible aux puissances profondes, soucieux à la fois du sort des Poilus sur le front et de celui des épouses, a jugé nécessaire de convoquer, pour les renforcer tous d’un même mouvement, la figure précieuse, grandiose, historique, nationale et religieuse de Jeanne d’Arc. Il organise alors des rassemblements, des dépôts de gerbes, des discours, il aide à structurer les forces autour de Jeanne qui, cinq siècles plus tôt, a fait la démonstration que la France, dès qu’elle est défendue par l’ardeur de ses enfants, se sort forcément des situations qui paraissent insurmontables. Dans la presse, il multiplie les articles ; à la Chambre, il travaille à l’instauration d’une journée en souvenir de Jeanne d’Arc. Plusieurs fois, il se rend devant la statue de l’héroïne, entouré des jeunes filles de Paris, pour redire aux cœurs tristes qu’il ne faut pas l’être et pour prendre chez la grande Lorraine de l’énergie exemplaire pour la faire germer sur le sol déprimé d’une nation en guerre.

Une nation unie autour de ses héros

Dans Autour de Jeanne d’Arc, publié en 1917, il explique sa démarche, rappelle qu’une nation ne peut survivre que si elle rappelle à ses contemporains le souvenir grandiose de leurs ancêtres pour qu’ils s’en inspirent et reproduisent, à leur mesure, leurs exploits. Sans cet effort, le sol qui a besoin de la sueur des braves pour se cultiver sans cesse s’assèche et prend le risque de périr. Mais cet effort indispensable, l’écrivain le sait, ne peut être mené qu’à la condition d’être « énergisé » par des modèles, par des maîtres. En cette manière, Jeanne d’Arc apparaît comme la figure incontournable et incontestable. Le livre fournit aux lecteurs les méditations patriotiques de Maurice Barrès, écrivain à la fois intellectuel et sensible dont la plume, je le rappelle chaque fois, savait dire avec émotion des choses intelligentes et des choses intelligentes avec sensibilité. L’action de Barrès en 1917 a porté ses fruits en son temps ; et comme il a eu l’excellente idée de la consigner dans un livre, ce même livre aujourd’hui disponible peut également avoir un effet mobilisateur, réconfortant et inspirant pour le lecteur de 2023. Aux Français désolés de voir leur pays dans un état aussi déplorable, l’exemple de Jeanne d’Arc et la plume mobilisatrice de Maurice Barrès rappellent que ce n’est pas la première fois dans son histoire que la France prend des coups et qu’à chaque fois elle s’est relevée. Souvent, il ne faut pour amorcer ce relèvement qu’un homme, qu’une jeune femme, qu’un exemple, qu’une étincelle… !

Autour de Jeanne d’Arc : réédition de trois ouvrages majeurs de Barrès

L’ouvrage Autour de Jeanne d’Arc et autres textes réédité désormais agrège également deux autres écrits importants du grand écrivain, Les traits éternels de la France et La terre & les morts. Dans le premier texte, il prononce à leur sujet l’éloge que les officiers français et les soldats méritent qu’on leur adresse. Héritiers de traditions plusieurs fois centenaires, cœurs vaillants au feu, dignes représentants de la race des combattants, les officiers français, descendants de Bayard, largement sacrifiés pendant la Grande guerre, formaient alors une élite, presque une aristocratie du cœur et de l’attitude. Barrès leur rend un hommage d’autant plus mérité qu’ils paieront cher leur contribution à l’effort de guerre.

Enfin, La terre & les morts. Le 10 mars 1899, Maurice Barrès devait donner une conférence à La ligue de la patrie française sur le thème de l’enracinement, du patriotisme et du lien particulier qui unit les êtres à leurs ancêtres, lien qui les constitue en qualité de peuple. La conférence ne sera finalement pas donnée mais le texte a heureusement été conservé et il est intégré dans Autour de Jeanne d’Arc et autres textes, concentré barrésien pur jus que je m’honore de rééditer à La délégation des siècles.

Jonathan Sturel

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Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Mes idées politiques de Charles Maurras: entretien avec Pierre de Meuse

Pierre de Meuse

Chers amis, nous nous retrouvons pour un nouvel entretien avec Pierre de Meuse, préfacier d’une récente édition de Mes idées politiques de Charles Maurras aux éditions de la Nouvelle Librairie. L’auteur des Idées et doctrines de la Contre-Révolution (DMM, 2019), de La famille en question. Ancrage personnel et résistance communautaire (éditions de la Nouvelle Librairie, 2021), et de bien d’autres ouvrages d’une qualité remarquable a bien voulu répondre à nos questions et nous l’en remercions chaleureusement.

 

             Action Française : cher monsieur, merci de nous accorder cet entretien pour l’Action Française. Pourriez-vous, dans un premier temps, nous raconter la genèse de ce célèbre ouvrage de Charles Maurras ? Quelle place tient-il dans l’œuvre du maître de Martigues ?

 

            Pierre de Meuse : ce livre est d’une facture inhabituelle chez Maurras, qui a souvent composé des ouvrages avec des recueils d’articles publiés antérieurement dans l’AF ou la Gazette de France. Il faut dire que lorsque ce résumé de sa doctrine fut rédigé, son auteur était en prison pour avoir prétendument menacé de mort Léon Blum et avoir tenté de l’assassiner ; il était donc disponible pour une écriture au calme. L’idée d’un compendium logique de sa doctrine vient d’une de ses collaboratrices, Rachel Legras, qui signait sous le pseudonyme de Pierre Chardon et qui rédigea d’ailleurs le « Dictionnaire politique et critique », si précieux pour les chercheurs et les personnes intéressées par les écrits du maître de Martigues. Maurras se mit immédiatement à l’ouvrage et en quelques mois le livre fut terminé. Cela dit, à mon sens si cette œuvre est pleine de rigueur et de mesure, elle ne fut pas la préférée de l’auteur. Car le martégal n’était pas un homme de système. En tant qu’esthète, il aimait plutôt les travaux formant un tout plutôt que les démonstrations entassées chapitre après chapitre.

En revanche, pour nous, c’est un outil irremplaçable, parce que chaque idée est à sa place dans le raisonnement sans qu’on puisse contester cette place.

            Action Française : quelle fut la raison d’être de cette nouvelle édition ? Mes idées politiques ne manquent pas d’éditions récentes – pensons à celle des éditions de Flore (2022), à celle de Kontre Kulture (2019) ou même à celle de l’Âge d’Homme (2002). Est-ce que ces dernières n’utilisaient pas la première édition de Fayard de 1937 ? Fondamentalement, quelles différences y a-t-il entre la première édition de 1937 et celle de La politique naturelle que nous retrouvons dans les Œuvres capitales de Charles Maurras ? Pourquoi ces différences ?

 

            Pierre de Meuse : pour le texte de l’ouvrage, la plupart des rééditions ont choisi de reprendre le texte de 1937, sans faire les coupures et les ajouts réalisés ultérieurement, notamment ce qui concerne le fascisme italien. La Librairie de Flore, elle, a choisi de respecter les modifications, tout en citant en note les textes originaux. La préface de Gaxotte n’a été reproduite, ni par Soral, ni par la Nouvelle librairie pour des questions essentiellement juridiques. Le texte de la Politique Naturelle reproduit dans les œuvres capitales développe l’introduction de Mes idées politiques, mais non tout le reste du livre. Cela dit, les modifications ne touchent en rien à l’essentiel de l’ouvrage.

En ce qui concerne la multiplication des rééditions, vous touchez là à une situation qui ne peut laisser indifférent aucun Français attaché à l’héritage intellectuel de Maurras. Bien sûr je pourrais vous répondre en vous disant que, plus il y a de gens qui rééditent Maurras et le commentent, mieux c’est ; cependant cela ne prend en compte qu’une partie de la question. Si on l’élargit, on peut voir que de nombreuses écoles de pensée s’intéressent à Maurras, et donc qu’il est impossible de limiter l’exégèse maurrassienne à une seule chapelle. D’autant plus que, les observations faites par un penseur né il y a plus d’un siècle et demi doivent être confrontées à une réalité qui était totalement impensable à l’époque où Maurras écrivait. Dès lors, chaque fois que l’on veut accommoder (au sens optique du terme) la pensée maurrassienne avec le réel, on est tenté souvent de la trahir, même involontairement. Il est donc utile qu’il y ait plusieurs points de vue sur le Martégal, car cela permet d’éviter les contresens.

Mes idées politiques

          Action Française : permettez-nous de nous arrêter sur quelques points essentiels de la pensée de Charles Maurras, magnifiquement illustrés dans cet ouvrage, qui sont aujourd’hui discutés par ceux qui se prétendent héritier de notre auteur. La première partie concerne l’Homme : la faiblesse naturelle de l’Homme rend nécessaire sa vie en société. En quoi peut-on dire que Charles Maurras développe une pensée holiste de la société ?

 

          Pierre de Meuse : vous touchez là un point important. Que désigne-t-on sous ce terme d’holisme ? Certains maurrassiens rejettent aujourd’hui cette notion en se référant à l’inventeur du mot : l’homme politique sud-africain pro-britannique Jan Christiaan Smuts qui écrivit en 1926 un livre intitulé Holism and evolution. Dans cet ouvrage, l’auteur définit ainsi son terme de recherche : « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ». Smuts en déduit une théorie philosophique de la science et même une para-métaphysique darwiniste. Cependant, il est abusif, me semble-t-il, de limiter le sens du mot au système de Smuts. Car si c’est lui qui a forgé le vocable, la chose est bien antérieure. Le nationalisme de Barrès et Maurras correspond bien à cette définition, puisque tous les participants aux séances de formation d’AF ont appris depuis cinq ou six générations la formule de Barrès : « La patrie est une association, sur le même sol, des vivants avec les morts et ceux qui naîtront. » Et Maurras, précisément dans le livre que j’ai eu l’honneur de préfacer : « La patrie est une société naturelle, ou, ce qui revient absolument au même, historique. Son caractère décisif est la naissance. On ne choisit pas plus sa patrie, la terre de ses pères, que l’on ne choisit son père et sa mère. (…) C’est avant tout un phénomène d’hérédité. » En fait, le terme d’holisme est très voisin de l’organicisme d’Aristote, par exemple, qui désigne la forme, organisatrice et conservatrice, de l’être vivant. Un autre mot est employé par le stagirite : celui d’entéléchie (qui porte sa finalité en lui-même). Mais alors, pourquoi ces maurrassiens rejettent-ils cette notion ? Une explication pourrait être qu’au lieu de partir de la société comme Bonald et Burke, ces philosophes préfèrent prendre la personne comme base de leur raisonnement. Après tout, pourquoi pas ? À la condition qu’un raisonnement personnaliste ne conduise pas à des conclusions différentes de celles de l’holisme. Sinon, c’est toute la base du projet maurrassien qui est perturbé. Encore une fois, le raisonnement de Maurras ne prétend pas établir une ontologie, c’est-à-dire une certitude de foi sur l’être des choses, mais une analogie féconde, qui réponde à nos besoins vitaux.

         Action Française : Michaël Sutton (Charles Maurras et les catholiques français) parle de la synthèse subjective de Charles Maurras appliqué à la France comme Auguste Comte l’appliqua à l’humanité. Charles Maurras créa-t-il une déesse France en capacité de dévorer ses enfants pour subsister ?

 

          Pierre de Meuse : votre question est une suite logique de la précédente. Il faut bien comprendre que Maurras rejette catégoriquement le messianisme humanitaire de Comte, pour ne retenir de lui que son éloge de l’ordre et sa méthode empirique. Le Pr. Sutton considère que l’auteur d’Anthinéa a remplacé l’humanité par la France ; mais c’est à mon avis un contresens. Maurras, sans dénier toute existence à l’humain, considère que sur le plan social et politique, la nation (donc pour lui la France) recueille l’ensemble des devoirs des Français. Dans Le soliloque du prisonnier, il écrit que la France c’est l’humanité. Il ne dit pas que l’humain n’existe pas, car l’ensemble des hommes connaissent des pensées, des émotions et des doutes communs, mais que la Nation est le dernier cercle qui réunit les hommes. Car, à la différence des « républicains » comme Taguieff, Maurras pense que les nations existent vraiment en tant qu’essences. De là provient cette image de la déesse France. « À la beauté la plus parfaite, au droit le plus sacré, Rome savait préférer le salut de Rome, la gloire des armes romaines et, non content de l’en absoudre, le monde ne cesse de lui en témoigner de la reconnaissance. L’Angleterre contemporaine a donné des exemples de la même implacable vertu antique. Le nationalisme français tend à susciter parmi nous une égale religion de la déesse France ». Mais pourquoi cette déesse devrait-elle dévorer ses enfants alors qu’elle est au contraire pour eux la dernière des protections communautaires ?

 

         Action Française : le septième chapitre se nomme « Retour aux choses vivantes » et un de ses points concerne le nationalisme. Quelle différence fait Charles Maurras entre le patriotisme et le nationalisme et, in fine, entre la Patrie française et la Nation française ? Pensez-vous que cette différence lexicale subsiste encore de nos jours ou les termes sont maintenant trop dévoyés pour être retenus- il semble, par exemple, que le patriotisme soit toléré, contrairement au nationalisme ?

 

          Pierre de Meuse : vous savez, je suis un peu gêné pour vous répondre parce que ce que je vais vous dire est d’une banalité presque triviale pour tous ceux qui ont suivi les cercles de l’Action Française. La patrie est une réalité dont la définition découle de son nom même : Terra patrum

La Patrie, terre des pères, cela dit tout ! Le sol, le sang, leur âme commune, le génie divin qui les assembla.

Charles Maurras

Les lumières de la patrie

Assumer cet héritage, c’est être patriote. La nation, elle, est une réalité collective définie dans une abstraction. Elle désigne une communauté de destin qui se réalise dans l’histoire. Et le nationalisme, c’est la participation par l’esprit et la volonté à sa perduration et sa persévérance. Au cœur de tout nationalisme, il y a une angoisse – l’angor patriae – de voir s’étioler ou se dévoyer cet héritage. Je ne crois pas que le patriotisme soit plus toléré que le nationalisme. L’esprit du temps méprise le patriotisme, qu’il considère comme l’expression d’une sentimentalité ridicule, car rien n’est plus chic pour lui que le cosmopolitisme de l’oligarchie. Il déteste et craint le nationalisme, parce qu’il soupçonne qu’il recèle des forces dangereuses pour ses dogmes. Mais attention ! N’est pour lui illégitime que le nationalisme des Français, des Européens, des Blancs. S’il s’agit d’un nationalisme congolais, arabe ou indien, alors c’est tout différent, là c’est une opinion qui mérite d’avoir sa place au concert des expressions. Pourquoi cette attitude étrange ? Elle s’explique parfaitement par la notion schmittienne de l’Ennemi. Pour l’idéologie progressiste, l’ennemi est intérieur, il vient du passé de l’Europe, il puise dans sa tradition que le progressiste déteste plus que tout au monde. En revanche, la tradition de l’étranger le gêne moins, puisqu’il ne peut pas renforcer le « Vieil homme », que le progressisme a cru éradiquer pour toujours.

 

         Action Française : concernant l’Homme, vous évoquez dans votre préface une dimension très disputée de l’héritage maurrassien, celle de la notion de race. Qu’entend exactement Maurras quand il parle de race ? Quelle forme de « racisme » développe-t-il ?

 

            Pierre de Meuse : décidément, vous aimez parler des sujets épineux.

Cela fait au moins cinquante ans que des dirigeants de l’Action Française s’enferrent régulièrement dans des déclarations antiracistes, qui montrent qu’ils n’ont pas vu le piège qui leur était tendu. Quand on nous somme de nous déclarer antiracistes, exige-t-on seulement de nous que nous rejetions solennellement les théories de Houston Chamberlain que tout le monde a oublié ? Certainement pas. Se déclarer antiraciste, c’est déclarer que seule la condition humaine est significative car le propre de toutes les différences collectives entre les hommes est de n’être pas voulues mais imposées. Le postulat antiraciste repose sur le caractère non-signifiant des différences humaines. Ce qui, évidemment, est radicalement aux antipodes de la pensée maurrassienne. Ce n’est pas que les trotskystes et les humanistes révolutionnaires qui forment les bataillons de l’antiracisme soient prêts à croire à la sincérité de nos protestations ; mais ils nous ont obligés à nous agenouiller et cela, c’est une victoire. Et si, d’aventure, comme cela arrive hélas quelquefois, nous en profitons pour dénoncer un autre mouvement nationaliste, en le traitant de raciste, alors là, c’est pour eux une savoureuse réussite : nous avons fléchi le genou devant leurs dogmes, nous avons reconnu leur qualité de juge en leur donnant des armes pour intensifier l’oppression, nous nous sommes déshonorés (nous ne sommes pas comme Untel, Monsieur l’officier de la Kommandantur, lui il est raciste, nous non), nous nous sommes fait des ennemis, et nous n’avons gagné que du mépris des uns et des autres. Quand on est vaudois, on ne dénonce pas les cathares à l’Inquisition !

Cela dit, si nous voulons, en dehors de l’impact des lois antiracistes, faire l’inventaire de la pensée du maître au sujet de la race, nous nous apercevons que c’est une pensée nuancée et traditionnelle. Maurras emploie sans cesse ce mot, et, nous disent certains : « il emploie ce terme simplement comme un synonyme de nation. » C’est vrai et c’est faux. Il est exact que pour Maurras, les deux concepts se recouvrent en grande partie. Mais il emploie sans cesse en même temps le mot de sang. C’est que pour lui, la nation est essentiellement un fait de naissance et d’hérédité. Il emploie le mot race au sens du français classique, celui du Moyen âge et du XVII° siècle. « Vive la race de nos rois » ou encore dans le rite du sacre royal : « Reçois cette couronne, héritier de la noble race des Francs. » Cela dit, Maurras n’aime pas les théorisations « scientifiques » de la race biologique, essentiellement pour deux raisons : d’abord parce qu’elles ne sont pas vraiment convaincantes, ensuite et surtout parce que leurs partisans se servent de leurs raisonnements pour établir une hiérarchie des races dans laquelle la France se situe au second rang. Mais il ne nie absolument pas la parenté des Français et le caractère fécond de sa visibilité. Je conseille aux lecteurs qui voudraient approfondir ce sujet de lire un article d’un professeur, Carole Raynaud-Paligot de l’université de Dijon (https://books.openedition.org/septentrion/44400?lang=fr#text). Cette universitaire est naturellement de Gauche, voire d’extrême Gauche, et férocement antiraciste, ce qui la conduit à une sympathie pour le Woke. Elle décrit, textes à l’appui, comment Maurras concevait l’identité originelle de la France, à savoir comme « la fusion des races des Gaulois et des Romains », bien que la vision que les penseurs de l’AF avaient des Gaulois soit aujourd’hui totalement dépassée. Et elle en conclut que, puisqu’il y a bien une filiation biologique, c’est que Maurras était partisan d’une France ethnique et non pas seulement culturelle. Donc, pour elle, Maurras était « raciste ». En réalité, c’est qu’elle donne un sens maximaliste au mot de racisme et considère qu’on est raciste dès lors que l’on prend en compte le moins du monde la dimension filiale naturelle. En cela, elle suit la tendance générale de la législation, qui ne justifie la nation française que comme contractuelle et instantanée. En conclusion, Maurras se méfiait des dogmes de la raciologie de son temps, mais considérait cependant qu’un peuple historique n’était rien d’autre qu’une famille naturelle très élargie. Selon la définition que l’on donne au mot, Maurras est ou n’est pas « raciste », mais il ne peut en aucun cas être appelé « antiraciste ».

          Action Française : dans un autre registre, pourriez-vous nous dire ce que signifie réellement le Politique d’abord ? Cette position fut très régulièrement la cause de tensions avec certains catholiques qui y voyaient une relégation au second plan des droits de Dieu. Aujourd’hui encore, il s’agit d’une pierre d’achoppement.

 

          Pierre de Meuse : j’avoue être surpris en vous entendant me dire que cette vieille lune est encore aujourd’hui une pierre d’achoppement. Oui, il est vrai que ce mot d’ordre a été violemment critiqué par de très nombreux acteurs politiques ou écrivains. Citons Georges Bidault, Georges Bernanos, François Mauriac, Charles Péguy, Lucien Febvre, François de La Rocque et même Henri VI comte de Paris. 

Ils disaient : moral d’abord, social d’abord, spirituel d’abord, mystique d’abord, religieux d’abord, économique d’abord, militaire d’abord, esthétique d’abord, littéraire d’abord. En fait tout cela est le résultat d’une incompréhension, quelquefois consciente. Il est vraisemblable aussi que ces arguties soient un symptôme d’une maladie intellectuelle de la Droite française : le refus de la volonté.

 Pourtant, il est patent que la Gauche n’a pas de ces humeurs. Et qu’elle met en pratique son programme de destruction de l’État et de la société par la politique, structurée par un esprit de parti dépourvu de toute pudeur.

 

          Action Française : nous connaissons naturellement les positions de l’Action Française concernant la démocratie, mais, pour nos lecteurs, pourriez-vous nous exposer quel type de démocratie dénonce Charles Maurras ? En quoi celle-ci était fondamentalement provocatrice de chaos et incapable de répondre aux besoins de l’instant ? L’actualité semble, en effet, hurler ce constat : la démocratie ne règle aucun problème, elle embourbe la nation.

 

        Pierre de Meuse : là, nous abordons un sujet sur lequel le vocabulaire classique de la science politique ne correspond plus à l’image que le public visualise chaque fois que l’on parle de démocratie, et il me semble que nous devons en tenir compte afin d’être compris et suivis. Il est de fait que nous assistons depuis trente ans à un retournement de situation qui était imprévisible à l’époque de Maurras. En effet, quel était le tableau politico-social au tout début du XX° siècle ? La France était encore une société, avec une élite nationale qui cultivait les vertus. En ce temps-là, Maurras proposait de reconstruire les superstructures politiques sur ce qui existait ; et il disait que le pays légal, avec ses règles juridiques fondées sur la loi du nombre, méconnaissait la valeur de cette société. Or, aujourd’hui, les élites de notre pays sont totalement désolidarisées de la France et méprisent le peuple français, qui est de plus en plus asservi et appauvri. En conséquence, celui-ci reproche de plus en plus au pouvoir « démocratique »…de ne pas être démocratique et de fonctionner comme une oligarchie étrangère ! Donc, si nous voulons être compris, il faut faire une distinction sémantique entre la démocratie conçue comme le fait pour les gouvernants d’être en phase avec les aspirations des gouvernés, et la démocratie idéologique, qui veut changer le peuple pour le rendre conforme à un modèle préétabli, qui est celui de la société déracinée et atomisée. La première est l’expression du bon sens et la seconde est un rêve fumeux et mortel. Si nous n’adaptons pas notre vocabulaire à la nécessité, notre discours n’aura pas de prise sur la conscience française.

 

          Action Française : la pensée économique et sociale de Charles Maurras est assez mal connue du plus grand nombre. Était-il un défenseur de la propriété, des riches familles et du capitalisme ou était-il un précurseur d’un royalisme qui penchait vers le socialisme et le syndicalisme ? En réalité, qu’est-ce qui fondait sa pensée sociale ? 

 

          Pierre de Meuse :

Charles Maurras, ce n’est pas un secret, n’était pas un spécialiste de l’économie. Sa formation est principalement littéraire et philosophique. En revanche, sa pensée intègre l’économie comme une science dédiée, une science du bon sens plutôt que comme le terrain d’exercice de l’utopie.

En fait, il exècre toute idée préconçue dans ce domaine. Il considère, nous l’avons vu, la société comme un tout organique et considère que l’économie ne doit pas avoir d’autre but final que le bien commun du groupe. Il rejette donc les dogmes libéraux, conduits par l’individualisme, ainsi que l’idéologie égalitaire, ce qui ne signifie pas qu’il justifie l’inégalité sociale comme un idéal sans limites. Cette notion de bien commun n’accepte pas que les objectifs à court terme, mais au contraire prend en compte la longue durée. Était-il socialiste ? L’adjectif ne l’effarouchait pas, mais à la condition d’y inclure le respect des hiérarchies salutaires. Il était en tout cas favorable au syndicalisme, dans la mesure où la défense des catégories sociales respecte le bien commun de l’entreprise. Bien entendu, il affirme l’utilité de la propriété privée mais à la condition de lui imposer des limites qui sont celles, encore une fois, du salut public. Il détestait le fanatisme libre-échangiste, mais n’était pas systématiquement partisan du protectionnisme dont il disait qu’il ne faisait pas partie du paquetage du militant d’AF. Tout, selon lui, était affaire de circonstances. Était-il animé comme le prétend Charles Gave, par la haine du capitalisme ? Tout dépend de ce que l’on entend par là. Ce qui est sûr, c’est qu’il aurait été hostile à la financiarisation totale de l’économie, qui dépossède notre pays de sa souveraineté et de son industrie.

         

          Action Française : ceci étant dit, vous évoquez dans votre préface le soutien qu’apporta sans cesse Charles Maurras au régime de Vichy et au maréchal Pétain. Quelles sont les raisons intellectuelles qui poussèrent le maître de Martigues à agir ainsi ? Est-ce que certaines réformes du régime reflétaient des idées développées dans cet ouvrage écrit seulement trois ans avant l’année 1940 ?

 

          Pierre de Meuse : Maurras se rallia au Régime de Vichy et surtout au maréchal Pétain exactement pour les mêmes raisons qui le poussèrent à accepter l’Union Sacrée en 1914 : la recherche de l’unité dans un moment où le territoire français était attaqué et occupé. Du reste, les confidences du chanoine Cormier nous apprennent que, de 1940 à 1944, Maurras cessa d’utiliser le terme « politique d’abord » pour lui substituer « unité des Français ». Or, la postérité n’a pas appliqué le même jugement aux deux attitudes. Dans un cas comme dans l’autre, il était très difficile à Maurras de suivre une autre voie. Mon opinion personnelle est que la soumission totale à un gouvernement tenu par l’ennemi idéologique est toujours lourde de conséquences. C’était le cas pour Clemenceau. Était-ce aussi le cas pour le Gouvernement de l’État Français ? Pas tout-à-fait. Cela dit le Maréchal était sincèrement républicain, mais avec une teinte corporatiste qui se traduisit par la Charte du travail, promulguée le 4 octobre 1941 et dont Alain Cotta parle avec respect. Mais le vainqueur de Verdun était loin d’avoir les mêmes convictions que Maurras, notamment à l’égard des USA, envers lesquels il avait une confiance excessive. Je ne pense pas que, du reste, il ait lu cet ouvrage. Il y avait effectivement à Vichy une certaine influence des maurrassiens, mais Olivier Dard a nuancé son rôle dans la Révolution Nationale de Vichy. Son influence n’était pas la seule, loin de là.

 

Propos recueillis par Guillaume Staub

Charles Maurras, Mes idées politiques, Paris, Éditions de la Nouvelle Librairie, 2023, 320 pages, 20 euros.

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70 ans de la mort de Maurras

70 ans de la mort de Maurras

Notre maître Charles Maurras est un monument de la pensée française et sa pensée politique est supérieure aux autres en ce qu’elle proclame le Vrai, le Beau et le Bien. Nous ne répondrons pas, ici, à ceux qui l’ont vilipendé, et tout particulièrement à ceux qui aujourd’hui comme hier essaient de glisser le venin d’une soi-disant incompatibilité essentielle entre la doctrine de Maurras et l’orthodoxie catholique (aussi bien chez les démocrates-chrétiens qu’à la FSSPX). L’objet est ici de donner le goût au lecteur de revenir aux sources : nous vous proposons quelques citations symboliques du Maître de Martigues, sur quelques sujets d’éminente actualité.

Sur la question fondamentale de la laïcité, des rapports entre Dieu et César.

« Il faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l’homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d’interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l’homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l’homme n’ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d’un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L’Église incarne, représente l’homme intérieur tout entier ; l’unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L’État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il contre une poussière de consciences individuelles, que les asservir à ses lois ou flotter à la merci de leur tourbillon ? » (La démocratie religieuse, 1921)

Sur la lutte de la culture de vie contre la culture de mort, et finalement du Bien contre l’absence de Bien qu’on appelle Mal.

« Tout désormais s’explique par une différence, la plus claire du monde et la plus sensible : un oui, un non. Ceux-là ne veulent pas, ceux-ci veulent, désirent. Quoi donc ? Que quelque chose soit, avec les conditions nécessaires de l’Être. Les uns conspirent à la vie et à la durée : les autres souhaitent, plus ou moins nettement, que ce qui est ne soit bientôt plus, que ce qui se produit avorte, enfin que ce qui tend à être ne parvienne jamais au jourCes derniers constituent la vivante armée de la mort : ils sont l’inimitié jurée, directe, méthodique, de ce qui est, agit, recrute, peuple : on peut les définir une contradiction, une critique pure, formule humaine du néant. (…) Le positif est catholique et le négatif ne l’est pas. Le négatif tend à nier le genre humain comme la France et le toit domestique comme l’obscure enceinte de la conscience privée ; ne le croyez pas s’il soutient qu’il nie uniquement le frein, la chaîne, la délimitation, le lien : il s’attaque à ce que ces négations apparentes ont de positif. Comme il ne saurait exister de figure sans le trait qui la cerne et la ligne qui la contient, dès que l’Être commence à s’éloigner de son contraire, dès que l’Être est, il a sa forme, il a son ordre, et c’est cela même dont il est borné qui le constitue. Quelle existence est sans essence ? Qu’est-ce que l’Être sans la loi ? À tous les degrés de l’échelle, l’Être faiblit quand mollit l’ordre ; il se dissout pour peu que l’ordre ne le tienne plus. Les déclamateurs qui s’élèvent contre la règle ou la contrainte au nom de la liberté ou du droit, sont les avocats plus ou moins dissimulés du néant. Inconscients, ils veulent l’Être sans la condition de l’Être et, conscients, leur misanthropie naturelle, ou leur perversité d’imagination, ou quelque idéalisme héréditaire transformé en folie furieuse les a déterminés à rêver, à vouloir le rien. » (La démocratie religieuse, 1921)

Sur le nationalisme, pour éviter précisément toute confusion du nationalisme intégral de Maurras, de l’Action Française et de toute l’école monarchiste française avec les expressions dévoyées du nationalisme venues de la Gauche et habilement cataloguées par le Système comme étant de droite : fascisme, nazisme, Etat tout puissant, centralisateur, JACOBIN et liberticide.

 « Caractère distinctif du nationalisme français : il est fort éloigné de présenter la nécessité pratique et moderne du cadre national rigide comme un progrès dans l’histoire du monde ou comme un postulat philosophique et juridique absolu : il voit au contraire dans la nation une très fâcheuse dégradation de l’unité médiévale, il ne cesse pas d’exprimer un regret profond de l’unité humaine représentée par la république chrétienne (…) ». (L’Action Française, 25 mars 1937)

« Un nationalisme n’est pas un nationalisme exagéré ni mal compris quand il exclut naturellement l’étatisme (…). Quand l’autorité de l’Etat est substituée à celle du foyer, à l’autorité domestique, quand elle usurpe sur les autorités qui président naturellement à la vie locale, quand elle envahit les régulateurs autonomes de la vie des métiers et des professions, quand l’Etat tue ou blesse, ou paralyse les fonctions provinciales indispensables à la vie et au bon ordre des pays, quand il se mêle des affaires de la conscience religieuse et qu’il empiète sur l’Eglise, alors ce débordement d’un Etat centralisé et centralisateur nous inspire une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi. » (L’Action Française, du 19 juillet 1938)

Et au soir de sa vie, prisonnier de la République rétablie dans toutes ses prérogatives de destruction, il écrivait à Pierre Boutang cette exhortation testamentaire magnifique.

Nous bâtissons l’arche nouvelle, catholique, classique, hiérarchique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l’air, ni les institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les administrations des pilleries et des gabegies, où revivra ce qui mérite de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà tous les espaces, la Papauté ! Même si cet optimisme était en défaut et si, comme je ne crois pas tout à fait absurde de le redouter, si la démocratie était devenue irrésistible, c’est le mal, c’est la mort qui devaient l’emporter, et qu’elle ait eu pour fonction historique de fermer l’histoire et de finir le monde, même en ce cas apocalyptique, il faut que cette arche franco-catholique soit construite et mise à l’eau face au triomphe du Pire et des pires. Elle attestera, dans la corruption universelle, une primauté invincible de l’Ordre et du Bien. Ce qu’il y a de bon et de beau dans l’homme ne se sera pas laissé faire. Cette âme du bien l’aura emporté, tout de même, à sa manière, et, persistant dans la perte générale, elle aura fait son salut moral et peut-être l’autre. Je dis peut-être, parce que je ne fais pas de métaphysique et m’arrête au bord du mythe tentateur, mais non sans foi dans la vraie colombe, comme au vrai brin d’olivier, en avant de tous les déluges.” lettre à Pierre Boutang, 1952

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