La Transnistrie, terme que l’on préférera à l’imprononçable mais plus exact Transdniestrie –  terre au-delà du Dniestr, selon le russe, ou du Nistru, selon le roumain – sollicite régulièrement l’intérêt des commentateurs de la guerre en Ukraine qui émettent l’hypothèse que cette contrée séparatiste puisse être attaquée par l’une ou l’autre partie au conflit.

Attaquer la Transnistrie reviendrait, si ce devait être le cas, à attaquer la République de Moldavie dont elle fait partie en droit. Aucun État n’a, en effet, reconnu la sécession de cette province, même pas la Russie. Cela peut changer, naturellement, mais pour le moment, il n’en est rien.

Il y a, nous le savons, environ 1500 soldats russes en Transnistrie. Ils y sont depuis le temps de l’URSS et faisaient partie de la 14e armée (celle de feu le général Lebed). Ils y ont été maintenus à la suite d’un accord passé en 1992 entre la Russie, le gouvernement moldave et les autorités séparatistes. Le statut de ces troupes a alors changé pour devenir Forces de maintien de la Paix. La relève des soldats russes et leur approvisionnement en armes et munitions se fait en transit sur le territoire moldave via l’aéroport de la capitale moldave Chişinău (se prononce Quichinau). Conformément à leur stratégie partout où ils interviennent, les Russes envoient des forces d’interposition pour geler, sans les régler, les conflits auxquels ils sont partie (comme entre Azerbaïdjanais et Arméniens, Turcs et Syriens…). Ils gèlent ainsi depuis 30 ans le conflit entre Transnistriens et Moldaves (un petit millier de morts pendant la guerre de 1992), mais ne sont en aucun cas chargés de défendre le territoire moldavo-transnistrien de l’attaque d’une partie tierce.

Pour le gouvernement ukrainien, l’intérêt d’une opération en Transnistrie serait, d’une part, de tenter de s’emparer des importants dépôts d’armes d’origine soviétique se trouvant en Transnistrie ; ce serait, d’autre part, une façon de pousser l’Otan à intervenir directement pour contrecarrer d’inévitables réactions militaires russes de grande ampleur. Les 1500 soldats russes se défendraient assurément s’ils étaient attaqués, mais ne sont pas assez nombreux pour faire face seuls à une offensive sérieuse.

Ce serait alors l’ouverture d’un nouveau front entre l’Otan et la Russie. L’Otan est à deux pas, en Roumanie, où se trouvent déjà imprudemment des militaires français sous commandement de l’Otan. Peut-être aussi en Moldavie dont la nouvelle présidente, Maia Sandu est un pion des États-Unis (formation à Harvard, puis à la Banque mondiale…).

Pour ces raisons conjoncturelles, l’extension de la guerre à la Moldavie-Transnistrie, est donc possible, mais elle n’est pas certaine. Est-elle même envisagée ? En discuter relève d’une spéculation que l’avenir confirmera ou démentira. On peut, toutefois, également redouter la déstabilisation de ce pays, pour des raisons structurelles cette fois-ci.

On remarque que la fin de l’URSS, et de la Guerre froide, a eu pour conséquence l’embrasement violent de certains pays anciennement socialistes rassemblant des populations composites, Yougoslavie, Bosnie-Herzégovine, Serbie-Kosovo, pour ne pas les nommer. Puis entre Tchéquie et Slovaquie ; mais au moins le divorce fut-il à l’amiable en la circonstance. La déstabilisation de l’Ukraine appartient elle aussi à ce puissant mouvement de remise en cause de la coexistence de populations qui ne veulent pas d’un avenir commun.

La Moldavie peut-elle échapper à la déstabilisation et à la violence qui s’est abattue sur la région, voire à la reprise de l’ancien conflit de 1992 ? Cet État repose lui aussi sur des bases artificielles. Au moins deux principales :

1/ la République de Moldavie est un État, mais est-elle une nation ? en tout cas une nation vraiment distincte de la Roumanie dont elle a fait partie ? La République de Moldavie ne représente qu’un tiers de la Moldavie historique ; les deux autres tiers sont en Roumanie. Cette interrogation est au cœur de la question identitaire moldave, question compliquée encore par l’existence d’une minorité de langue russe, présente notamment dans la capitale (pas seulement en Transnistrie !) et d’une minorité gagaouze (turcophone mais chrétienne) homogène dans un territoire autonome. Le pays est en outre en crise politique et institutionnelle récurrente, et fragilisé par une situation sociale tendue ;

2/ le séparatisme transnistrien. La province séparatiste est loin d’être homogène. Sa population est répartie en trois tiers (inégaux, des statistiques récentes manquent) : un tiers roumanophone, comme la grande majorité des autres citoyens de la République de Moldavie, un tiers de langue maternelle russe, et un tiers de Russo-Ukrainiens. Le territoire lui aussi est compliqué : il y a quelques villages situés au-delà du Dniestr qui ne sont pas sous l’autorité des séparatistes mais sous celle de Chişinău ; il y a la petite ville roumanophone de Tighina, en Cisnistrie, qui est occupée par les milices transnistriennes.

Selon sa constitution, la République de Moldavie est un État neutre. Mais son actuelle présidente, agent américain comme nous l’avons dit, a rompu dans les faits avec cette neutralité en se rapprochant des É.-U. et de l’Otan. Or, pour la Moldavie, rompre avec la neutralité, c’est assurément le meilleur moyen d’être impliquée dans le conflit en cours, et avoir tout à y perdre.

Le risque n’est donc pas négligeable que ce pays s’embrase lui aussi à un moment ou à un autre. Avec ou sans conflit ukrainien. Espérons que non !

phl

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