Lecture

par Philippe Prévost

 

La condamnation de l’Action Française est tout à la fois une chose simple et une énigme.
Une chose simple car les faits sont connus. L’affaire éclata le 25 août 1926 avec la parution dans l’Aquitaine, semaine religieuse du diocèse de Bordeaux, d’un article dans lequel le cardinal Andrieu répondait, soit disant, à un groupe de jeunes catholiques qui l’interrogeait au sujet de l’Action Française.
 Si ce mouvement ne s’était occupé que de politique, il n’y aurait aucun problème mais il abordait aussi, sans aucun mandat, les questions religieuses. Ses partisans niaient l’existence de Dieu, la divinité du Christ et par voie de conséquence l’existence de toute morale ce qui les conduisait à diviser l’humanité en deux : il y avait d’un côté les imbéciles dégénérés, et de l’autre, les hommes instruits ce qui les amenait à vouloir rétablir l’esclavage
Très vite, l’Action Française s’aperçut que l’article de l’archevêque de Bordeaux n’était qu’un résumé d’une brochure d’un avocat-journaliste belge à cette différence près que ce que ce pamphlétaire avait reproché à Maurras seul, en raison de son agnosticisme, le cardinal Andrieu l’étendit à tous les adhérents et à tous les sympathisants du mouvement monarchiste. Au grotesque, on alliait le ridicule. Il n’empêche que ce scandaleux pensum fut loué et approuvé publiquement par le pape le 5 septembre suivant.
L’affaire commençait. Pendant trois mois, il ne se passa pas grand-chose car Pie XI était persuadé que les catholiques quitteraient massivement le mouvement comme ils avaient obéi à Pie X en 1906, lors de l’affaire des « cultuelles » mais tel ne fut pas le cas. Profitant alors de la parution, le 21 décembre 1926 dans l’Action Française, du fameux article Non possumus, le pape mit, le 29 décembre suivant, le journal à l’Index avec cinq livres de Maurras, prélude à des sanctions inouïes, prises non seulement contre les adhérents et les responsables du mouvement mais aussi contre les simples lecteurs du journal condamné.
Venons-en à l’énigme, au moins à l’énigme essentielle : quatre mois après la mort de Pie XI et deux mois et demi avant la deuxième guerre mondiale, intervenait la levée de cette condamnation.
Rappelons que celle-ci avait toujours été présentée comme « purement religieuse », par conséquent et compte tenu des graves accusations portées par le cardinal Andrieu, accusation avalisée par Pie XI, sur lesquelles il n’était jamais revenu, on se serait attendu, en toute logique, à ce que l’on exige des condamnés une rétractation publique en bonne et due forme de leurs abominables erreurs. Or là, rien de tel, le Saint-Siège s’est contenté d’une lettre d’excuses anodines et de vagues engagements pour l’avenir qui n’engageaient pas les rédacteurs du journal à grand-chose, preuve s’il en était besoin, que la religion n’avait été qu’un prétexte pour couvrir une opération quelque peu différente. Laquelle ?
Il serait difficile d’y répondre avec certitude si les auteurs de ce mauvais procès ne s’étaient trahis eux-mêmes par des confidences.
A certains de ses visiteurs, Pie XI expliqua qu’il avait voulu terminer le ralliement commencé par Léon XIII ; à d’autres, il fit dire par ses nonces en France et par son secrétaire d’Etat, le cardinal Gasparri, combien il appréciait et donc il soutenait la politique de réconciliation franco-allemande mise en œuvre par Briand. Deux choses que l’Action Française combattait ardemment.
A cet égard, il est curieux de constater que la reprise du dialogue entre l’Action Française et le Vatican a commencé après l’assassinat du chancelier Dollfuss en juillet 1934, assassinat qui ouvrit, enfin, les yeux de Pie XI sur les dangers du nazisme et du pangermanisme. Les principales étapes de cette reprise furent marquées par le voyage de Pierre Laval à Rome en janvier 1935, par celui d’Henri Massis en mai 1935 et surtout par le pèlerinage thérésien auquel de joignit R. de Boisfleury en avril 1937, qui prépara indirectement la levée de la condamnation.
Reste à examiner les conséquences de cette crise brève mais violente. Venant après l’hémorragie des cadres et des militants causée par la première guerre mondiale, la condamnation a considérablement affaibli le mouvement sur le moment même et surtout dans l’avenir, en le privant d’une bonne partie de son recrutement dans la jeunesse catholique, désormais orientée à gauche dans les groupements d’action catholique.

Entretien de Philippe Prévost avec l’ Action Française

La condamnation prépara aussi la défaite de la France en 1940 en la désarmant moralement car, de tous les nationalismes dont certains étaient beaucoup plus virulents que le nôtre, seul le nationalisme français fut poursuivi et condamné sans pitié. L’encyclique mit brennender sorge publiée en 1937 ne visait pas tant le nationalisme allemand que l’idéologie nazie. Elle n’eut qu’une faible influence outre-rhin.
Enfin, comme l’a dit l’abbé De Nantes lorsque Pie XI meurt en 1939, l’Eglise avait changé d’âme et personne ne s’en était aperçu. Les modernistes, les sillonnistes (de Marc Sangnier), les démocrates-chrétiens s’étaient emparés dans l’Eglise de tous les postes de commande tandis que les théologiens préparaient l’avenir, un avenir qui se révéla lors du concile Vatican II.
A Talleyrand qui disait, qu’ « au fond de nos discussions politiques, il y a toujours de la théologie », la condamnation de l’Action Française prouve qu’  « au fond de nos discussions théologiques se cache souvent de la politique », comme ce livre essaye de le démontrer.

Philippe Prévost

N'hésitez pas à partager nos articles !