Louis VII et Aliénor

Louis VII et Aliénor

En 1 137, Louis VII avait tout ce qu’il fallait pour être le plus heureux des rois. Son autorité s’étendait de Laon à Bayonne et de l’Auvergne à l’Océan. Il était bien fait de sa personne, très aimé de tous et éperdument amoureux d’Aliénor, l’irrésistible enfant des pays d’Oc, cette fille du soleil, raffinée et cultivée, qui venait de débarquer à Paris avec ses troubadours et ses organisateurs de cours d’amour ! Jusqu’alors, à la Cour, on avait surtout goûté les plaisirs de la table, maintenant on allait connaître tous les autres… Aliénor répondait largement à l’amour de Louis. Elle ne voulait voir en lui qu’un prince digne de figurer dans les contes et légendes à la mode dans les demeures seigneuriales. Elle entendait même le mouler quelque peu, car elle avait besoin d’un homme qui l’éblouît…

Le royaume était relativement paisible, mais il fallait quand même avoir l’œil sur tout, car certains seigneurs croyaient le moment venu de relever la tête… Le sire de Lezay n’avait-il pas récemment tenté de prendre le couple royal en otage dans son donjon de Talmont ? L’entreprise n’avait été déjouée que grâce à l’abbé Suger, que Louis avait eu l’intelligence de garder près de lui… Il allait falloir, comme au temps de Louis le Gros, raser des châteaux, comme celui de Montjoie. Et puis, il y avait aussi le mouvement communal qui, en certains lieux, dépassait ses limites. Louis VII réprima impitoyablement les communes libres d’Orléans et de Poitiers. De mauvaises langues disaient que les excès de la répression étaient dictées au jeune roi par le désir d’en imposer à Aliénor, la chaude méridionale qui en demandait toujours plus…

Côté étranger ; on était à peu près tranquille. En effet depuis la mort d’Henri 1er Beauclerc (1 135), la couronne anglaise était violemment disputée entre deux prétendants : l’un était le neveu du défunt, Étienne, comte de Blois, le fils de la bouillante Adèle d’Angleterre ; l’autre était le gendre du roi défunt : Geoffroy Plantagenêt,  comte d’Anjou et du Maine, marié depuis peu à Mathilde d’Angleterre, veuve de l’empereur Henri V. Ainsi entraient dans l’Histoire ces Plantagenêt dont le royaume de France n’avait pas fini d’entendre parler ! Pour le moment, Geoffroy était un prince aimable, généreux et cultivé. On se souvient de son grand-père, Foulque le Réchin, qui se fit enlever sa femme Bertrade par Philippe 1er. Son père, Foulque le Jeune, comte d’Anjou en 1 109, avait épousé en 1 111 l’héritière du comté du Maine (dont naquit Geoffroy). Puis veuf, il partit pour la Croisade où le roi de Jérusalem, Baudouin II, le remarqua et lui donna en mariage sa fille unique Mélisandre. C’est pourquoi il était depuis 1 131 roi de Jérusalem !

Geoffroy, dit le Bel avait fait preuve de beaucoup de résignation en épousant la rude Mathilde d’Angleterre, de quinze ans son aînée. Mais quel bel héritage en perspective !

Étienne de Blois venait d’oser se proclamer roi d’Angleterre. Mathilde et Geoffroy n’étaient pas décidés à se laisser faire : guerres, tentatives d’invasion, tractations… Finalement Geoffroy réussit à prendre Rouen et à obtenir la soumission de la Normandie, tandis que Mathilde intriguait toujours sur le sol anglais. Louis VII, qui était trop heureux de voir la Normandie détachée du royaume anglais, permit à Geoffroy d’ajouter à ses titres de comte d’Anjou et du Maine, celui de duc de Normandie. En échange, celui-ci rendrait le Vexin au roi de France.

À la même époque l’empire germanique se trouvait aussi déchiré par des luttes de succession ; la monarchie française s’apercevait des bienfaits de la transmission héréditaire de la  Couronne de mâle en mâle par ordre de primogéniture…

Le prestige de Paris

En France tout allait bien. Paris brillait d’un éclat extraordinaire. Imitant la Cour, les seigneurs prenaient plaisir aux fêtes, la mode vestimentaire se modifiait et le goût se propageait pour les choses de l’amour. La reine-mère Adélaïde, veuve de Louis VI le Gros, qui n’était pourtant pas belle, décida de se remarier avec un Montmorency (!), Aliénor protégeait les troubadours, tels Bernard de Ventadour, les lettres étaient florissantes, les universités de Paris, Chartres, Orléans, Angers, attiraient les étudiants de toute l’Europe. On redécouvrait les Lettres antiques et, alors, s’engageaient de grands débats d’idées, pas toujours très orthodoxes ; c’était le temps d’Abélard, le temps des grandes passions, le temps aussi où, dans midi, germait l’hérésie cathare… Heureusement, saint Bernard était là pour crier la vérité à la face des libres-penseurs et rappeler que la culture ne donnait pas le droit de s’écarter des exigences de la foi.

Homme de paix, de justice et de grande piété, Louis VII entendait adoucir le sort des serfs, invoquant, dans une charte de 1 152, la liberté naturelle comme un décret de la divine bonté. Il faisait progresser les libertés communales, suscitant des espaces où s’exerçait la protection du roi contre les excès féodaux. Il multipliait les villes neuves, leur octroyant des franchises particulières. Tout cela engendrait une réelle prospérité.

Sa simplicité frappait les étrangers. Ainsi l’Anglais Walter Map entra un jour dans le palais ouvert à tout venant et y aborda… le roi : « À votre prince, lui dit celui-ci, il ne manque de rien : chevaux de prix, or et argent, étoffes de soie, pierres précieuses, il a tout en abondance. À la Cour de France, nous avons que du pain, du vin et de la gaieté »

Aliénor se mêlait de politique et ne voulait pas de tutelle. Hélas, l’influence de l’abbé Suger diminuait, cette trop jolie femme étant en train de devenir le mauvais génie de Louis. D’abord, elle lança le roi dans une affaire peu reluisante où il ne « marcha » que dans le but de montrer à Aliénor qu’il était un homme. Il s’agissait d’une question de nomination ecclésiastique ; elle poussait Louis à tenir tête au pape Innocent II et à refuser l’archevêque nommé à Bourges. Saint Bernard se fâcha et le pape jeta l’interdit sur le royaume. Vint se greffer là-dessus une affaire de caprice qui tourna mal : Aliénor soutenait sa sœur Pétronille d’Aquitaine, laquelle était follement éprise du sénéchal de France, Raoul, comte de Vermandois. Or, celui-ci était déjà marié avec la nièce de Thibaut, comte de Champagne, qu’il répudia pour vivre avec Pétronille ! Saint Bernard tonna une fois de plus et le pape excommunia ce couple adultère, tandis que Thibaut voulait venger l’honneur de sa nièce. Louis VII prit alors le parti de sa belle-sœur et fit à Thibaut une guerre impitoyable. Une troupe royale s’empara de Vitry et fit périr trois cents personnes dans l’incendie de l’église. Le Champenois capitula en 1 143, puis la guerre reprit. Heureusement saint Bernard força le roi à faire la paix et l’interdit sur le royaume put être levé. Mais des vies humaines avaient été gaspillées pour rien. Uniquement, pour satisfaire deux femmes trop ardentes ! Louis VII en était accablé, le souvenir des brûlés de Vitry le hantait, le remords l’envahissait et son zèle religieux allait reprendre le dessus. Ce qui n’était pas du goût d’Aliénor…

La seconde Croisade

Or, juste à ce moment, on reçut d’Orient des nouvelles alarmantes. Le royaume franc, créé à Jérusalem par l’élite de la noblesse française, était en grand péril. À la mort de Foulque d’Anjou, devenu roi de Jérusalem par son second mariage (avec Mélisandre) la couronne revenait à son fils mineur Baudouin III. Minorité qui entraîna la division dont profitèrent les musulmans qui s’emparèrent d’Edesse (tout cela à cause, semble-t-il, de la mauvaise volonté de Raymond de Poitiers, oncle d’Aliénor…)

Louis VII prit très vite une décision. Le jour de Noël 1 145, il annonça solennellement l’organisation d’une nouvelle Croisade. Ainsi pourrait-il expier sa faute de Vitry… Ce ne fut pas l’enthousiasme immédiat, saint Bernard qui venait de réconcilier le roi avec le nouveau pape Eugène III (successeur d’Innocent II), accepta de prêcher à Vézelay et décida même l’empereur Conrad II à se croiser. Louis désirait emmener avec lui Aliénor et ses suivantes. Elle pourrait ainsi le voir  dans les exploits qu’il comptait y accomplir. Et puis, mieux valait ne pas la laisser seule trop longtemps à Paris…

Le roi de France et l’empereur germanique partirent, en 1 147, chacun avec une armée de soixante-dix mille hommes. Une fois de plus, l’empereur de Byzance jouait double jeu, et Conrad, excédé rentra chez lui. Louis VII accomplit alors des prodiges de bravoure. L’armée franque se trouvait enfermée, au mont Cadmos en Pisidie, dans un étroit défilé, bordé d’un côté de précipices profonds et de l’autre de rochers escarpés. Chevaux, hommes, bagages, tout fut poussé dans l’abîme. Le roi Louis VII parvint à s’échapper de la mêlée, gagna une éminence, s’adossa contre un arbre et résista seul à plusieurs assaillants. La nuit venue, le roi profita de l’obscurité pour rejoindre l’avant-garde de son armée, où déjà on le croyait mort. Après la bataille, l’armée du roi de France, qui avait subi de lourdes pertes, parvint difficilement à rejoindre Attalia le 20 janvier. Le roi dut abandonner les non-combattants et s’embarquer pour Antioche avec ses chevaliers affamés.

À Antioche l’on retrouva Raymond de Poitiers et Aliénor ne semblait pas insensible au charme de cet oncle encore jeune. Celui-ci conseilla au roi d’aller reconquérir Edesse, tandis que la reine resterait à Antioche sous sa garde… Refus de Louis qui soupçonnait quelque chose, car les langues se déliaient dans la ville. Le roi voulait aller à Jérusalem et il y emmena de force Aliénor, puis il courut attaquer le régent de Damas, qui ne faisait de mal à personne !

Trop d’incohérences conduisirent à un piteux échec. L’abbé Suger, de Paris envoyait tous les jours, des messages à Louis pour le prier de rentrer dans son royaume, ce qu’il se décida à faire en 1 149, mais la reine, que la mort au combat de Raymond de Poitiers avait rendue enragée, ne prendrait pas le même bateau que le roi. Elle ne pouvait plus le supporter, il était à ses yeux trop maladroit en amour, il ne pouvait plus la satisfaire. Les deux époux se retrouvèrent pourtant au retour à Tusculum, près de Rome, où le pape tenta l’impossible pour les réconcilier, allant jusqu’à bénir le lit dans lequel ils devaient passer la nuit…

La régence de Suger

Si son ménage battait de l’aile, Louis VII eut au moins la satisfaction, en rentrant de la Croisade, de retrouver son royaume en ordre et prospère. L’abbé Suger, exerçant la régence, avait réussi, malgré un certain mécontentement populaire à l’égard de l’entreprise orientale, à sauvegarder la paix civile et même à remplir les caisses de l’État, tout en secourant les pauvres et sans augmenter les impôts ! Il avait même créé des villes nouvelles comme Vaucresson. Mieux : il avait sauvé la couronne en déjouant un complot du frère du roi, Robert, comte de Dreux, qui voulait s’emparer du trône. Les menaces d’excommunication eurent raison des conjurés que Suger réduisit, mais sans les briser.

Le sévère saint Bernard lui-même lui rendit hommage : « S’il y a, dans notre Église de France, un vase d’honneur et, dans la Cour, un serviteur fidèle comme David, c’est à mon jugement le vénérable abbé de Saint-Denis. Je le connais à fond et je sais qu’il est fidèle et prudent dans les choses temporelles, fervent et humble dans les spirituelles. Mêlé aux unes et aux autres, il demeure, ce qui est on ne peut plus méritoire, à labri de toute accusation . » Dès ce moment, comme dit le moine Guillaume, « le prince et le peuple décernèrent à Suger le surnom de père de la Patrie. »

Et pourtant Suger se faisait encore bien des soucis. D’abord il ne se consolait pas du fiasco qu’avait été la Croisade, et il songeait à enrôler lui-même des hommes pour y repartir. Déjà, il envoyait des fonds à Jérusalem pour aider le roi Baudouin III, enfin majeur, qui était courageux et cultivé et qui parvenait à relever son royaume.

Suger souffrait aussi de voir la mésentente empirer dans le couple royal. Il aida  les époux de son mieux pendant deux ans, car il savait bien qu’une rupture conjugale entraînerait la ruine de l’œuvre de Louis VI. Mais il mourut le 13 janvier 1 151, à soixante-dix ans. Ce fut un grand  malheur pour la France ! Tout de suite, n’en tenant plus, Louis et Aliénor engagèrent une procédure en vue de faire dénouer leur lien conjugal par l’Église. Le 21 mars 1 152, le concile de Beaugency prononça la nullité du mariage, invoquant la consanguinité. Mais, reconnaissant la bonne foi de l’un et de l’autre au moment du mariage, le concile déclara légitimes les deux filles qu’ils avaient eues ; Marie et Alix. Aliénor s’en allait avec, dans ses bagages, le Poitou, l’Auvergne, le Limousin, le Périgord, le Bordelais et la Gascogne, car elle restait duchesse d’Aquitaine ! C’était un beau parti, d’autant qu’elle n’avait encore que trente ans ! Et qui allait être le nouvel élu ? Tenez-vous bien : Henri Plantagenêt ! lequel avait hérité un an plus tôt de son père Geoffroy, le comté d’Anjou, le comté du Maine et le duché de Normandie ! Ils se marièrent le 18 mai, juste deux mois après le concile de Beaugency, unissant leurs terres qui formeraient un immense État aux mains d’un vassal du roi de France ! Tandis que Louis VII devrait se contenter de ce que possédait son père : le petit domaine capétien proprement dit…  Ce n’était pas tout : Henri Plantagenêt, qui avait hérité des prétentions de son père Geoffroy, parvint à se faire désigner comme successeur par le vieux roi d’Angleterre, Étienne de Blois. Celui-ci mourut peu après et, le jour de Noël 1 154, Henri Plantagenêt, âgé de vingt et un ans et Aliénor, se firent sacrer roi et reine d’Angleterre.  Avec cela, la moitié de la France devenait anglaise ! Situation vraiment épouvantable pour Louis VII. D’autant plus qu’il n’était pas certain de faire le poids devant le Plantagenêt devenu Henri II, prince athlétique et sans scrupule !

Le courage et la force morale du Capétien

Eh bien, le roi de France fit face au malheur avec un courage admirable et un grand sens politique. D’abord, il fit jouer le droit féodal. Son ex-épouse en tant que duchesse d’Aquitaine et le roi d’Angleterre en tant que duc de Normandie et comte d’Anjou, étaient ses vassaux ; donc ils auraient dû lui demander la permission de se marier ! Cela paraît cocasse, mais comme ils ne l’avaient pas fait, Louis VII était en droit de proclamer la confiscation de leurs biens et donc de soutenir activement tous les petits seigneurs normands, angevins et aquitains qui ne voulaient pas obéir au Plantagenêt. À un moment il fut même amené à faire cause commune avec le frère d’Henri II, Geoffroy Plantagenêt, qui réclamait un fief. Puis, quand Henri II prétendit reprendre à son compte les prétentions des ducs d’Aquitaine sur le comté de Toulouse, le roi de France se rendit en personne dans cette ville auprès de Raymond V, comte de Toulouse, qui venait d’épouser sa sœur, Constance de France. Henri II renonça alors à entrer dans une ville où séjournait le roi de France ; il avait compris qu’il ne pouvait quand même pas tout se permettre ! Quant au comte de Toulouse, cela le rapprochait du roi français, lequel avait fort bien joué…  Louis VII devait aussi tenir à l’œil les barons du domaine qui chahutaient de temps à autre, mais avec plus de retenue qu’autrefois. Quand ils étaient cités devant la Cour royale, désormais ils se présentaient. L’autorité du roi avait fait de grands progrès. Même dans les grands fiefs, Bourgogne, Auvergne et autres, il était respecté et son arbitrage réclamé ; une  percée commençait à s’opérer vers le Dauphiné, le Vivarais, et la vallée du Rhône où de petits seigneurs demandaient au roi d’immédiatiser leurs terres, c’est-à-dire de les tenir directement de lui.

Sans doute Louis pensait-il souvent à Aliénor et priait-il pour elle, car il savait qu’elle n’avait pas été heureuse longtemps avec cette brute épaisse de Plantagenêt qui la trompait à tour de bras. Mais il fallait que Louis se remariât pour avoir un fils et transmettre la couronne de France !…

Michel Fromentoux

N'hésitez pas à partager nos articles !
Après Robert II le Pieux, Henri 1er (1 031-1 060)

Après Robert II le Pieux, Henri 1er (1 031-1 060)

Michel Fromentoux, membre du Comité directeur de l’Action Française continue son histoire de la formation de la France par les premiers Capétiens.

Henri 1er, fils de Robert lI le Pieux, devint donc seul roi de France en 1031, à l’âge de vingt-trois ans. Les premières années de son règne furent troublées par les intrigues raffinées de Constance, devenue reine-mère. Celle-ci, après avoir tant travaillé à dresser ses fils contre leur père allait désormais s’employer à dresser les cadets contre Henri. Elle avait la discorde dans le sang.

Cette chipie,  qui allait quand même, en mourant en 1033, faire construire un palais et un oratoire à Étampes et faire édifier un monastère de chanoines à Poissy, incita son plus jeune fils, Robert, à se révolter. Henri inaugura ainsi son  règne en défendant contre sa propre mère et ses propres frères le principe capétien de succession.

En deux ans, s’organisa une véritable conjuration de féodaux soutenant les droits de Robert (!) et conduits par Eudes  II, comte de Blois. Tout le nord du domaine royal fut pris, de même que la ville de Sens, l’Orléanais fut incendié. L’habileté d’Henri 1er consista à faire jouer le droit féodal pour détacher de la conjuration Robert le Magnifique (qu’on appelait aussi le Diable, mais c’est souvent la même chose…), duc de Normandie. Allié à celui-ci à partir de 1034, il put poursuivre sa guerre contre le comte de Blois et s’empara de Gournay-sur-Marne. La révolte était brisée, mais Robert de Normandie, qui avait le sens des affaires, se fit payer en demandant à Henri 1er le Vexin français. Finalement, pour tenir son frère tranquille, Henri 1er lui céda le duché de Bourgogne (de cette Maison de Bourgogne, allait sortir un jour la Maison royale de Portugal !).

 

La Trêve de Dieu

Henri 1er tenait désormais parfaitement son rôle d’arbitre souverain. Il se faisait respecter de ses vassaux, non pas tellement en cherchant à les vaincre militairement, mais en  se les attachant et en faisant ressortir que, selon le droit féodal, il y avait autant de grandeur à obéir qu’à commander ; comment d’ailleurs se  faire respecter dans les fiefs si l’on ne donnait pas soi-même l’exemple de l’obéissance au roi qui, lui-même, n’obéissait qu’à Dieu seul ?

C’est ainsi qu’il parvint à se maintenir au-dessus de la mêlée à cette époque où se consolidaient les grandes dynasties féodales : Maisons de Flandre, de Bourgogne, de Normandie, d’Aquitaine notamment… Sous l’influence de l’Église, était en train de naître la chevalerie, que le duc de Lévis-Mirepoix définissait comme « une invention géniale du Moyen-Âge qui consistait à opposer une violence éclairée et généreuse à une violence aveugle. Elle donna lieu à une magnifique floraison de poèmes qui firent briller sur toutes les chutes humaines l’appel de la spiritualité ». Les soldats chrétiens se trouvaient ainsi rassemblés dans une vaste fraternité et les prouesses n’avaient de sens que dans le service qu’elles rendaient aux plus humbles. La Trêve de Dieu, qui suspendait les combats du mercredi soir au lundi matin, jours évoquant la Cène, la Passion et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ, contribua largement à mieux orienter les volontés de puissance. Il faudrait encore plus d’un siècle pour que ces principes entrassent réellement dans les faits. Mais la voie était tracée, avec l’appui total du roi de France Henri 1er.

On se prend à rêver aujourd’hui que certains jours soient consacrés à une Trêve de Dieu qui puisse interrompre le massacre industriel des nouveau-nés par avortement. Mais Emmanuel Macron n’est, hélas, pas de la trempe d’Henri 1er… Lui, se plaît dans le crime !

Le prestige d’Henri était tel que Robert le Diable, dit le Magnifique, duc de Normandie, partant pour la Terre sainte afin d’expier ses graves péchés, laissa sous sa protection Guillaume, un jeune bâtard qu’il avait eu d’Arlette, fille d’un tanneur de Falaise. Or Robert mourut sur le chemin du retour et, comme il fallait s’y attendre, le jeune Guillaume fut fortement contesté par les barons normands. Fidèle à sa parole, Henri 1er se porta à son secours et manqua se faire tuer en combattant au Val-des-Dunes en 1047, les seigneurs du Bessin et du Cotentin.

Puis ce gringalet de Guillaume grandit et s’apprêtait à donner bien du fil à retordre aux Capétiens… Déjà, il lorgnait vers l’Angleterre où la monarchie anglo-saxonne était en décadence, il encourageait même des nobles normands à s’y installer – il faut dire que ces descendants des Vikings, ces géants aux cheveux blonds et aux yeux bleus, avaient le goût de l’aventure ; certains n’étaient-ils pas déjà partis à la conquête du royaume de Sicile ?

Pour le moment, Guillaume tentait d’arracher le Maine au comte d’Anjou, vassal direct du roi de France. Ce fut la guerre, au désavantage d’Henri 1er lequel fut battu au gué de Varaville en 1 057. Mais, magnanime, Guillaume ne poussa pas trop loin son avantage : il avait tout intérêt à respecter le roi de France, son suzerain, lui dont les propres vassaux étaient plutôt turbulents…

 

Anne de Kiev

Côté cœur, Henri 1er  fut beaucoup plus paisible que son pieux père. Il avait épousé en premières noces Mathilde, nièce de l’empereur Henri II, mais elle mourut en 1 044 sans lui avoir donné d’enfant. Trouver une autre femme n’était pas simple car toutes les princesses d’Occident étaient ses cousines à des degrés divers ! Et il ne tenait pas à revivre les ennuis de son père avec le pape et les évêques. Le mieux serait alors d’envoyer chercher une femme à l’autre bout du monde : la Russie était alors un pays brillant, récemment converti au christianisme et dont on disait le plus grand bien.

Henri Ier chargea une ambassade, conduite par les évêques Gauthier de Meaux et Roger de Châlons, de se rendre à Kiev pour demander, de la part du roi de France, la main de sa deuxième fille Anne au grand-duc Iaroslav, prince de Kiev. La fiancée arriva à Montreuil- sur-Mer après un long et somptueux voyage de plusieurs mois. Henri la reçut à Senlis. Elle avait vingt ans, lui, trente-six.

On raconte qu’au moment où Anne descendit de son attelage, le roi, immédiatement amoureux du charme slave, se précipita sur elle pour l’embrasser avec ferveur, incapable de se présenter et de maîtriser son enthousiasme. « Je suppose que c’est vous qui êtes le roi, n’est-ce pas ? », s’enquit la belle, confuse et rougissante…

Henri se rendit en personne à Reims pour accueillir sa fiancée aux portes de la cité du sacre. Le mariage eut lieu à Reims le 19 mai 1051, immédiatement suivi du couronnement et du sacre, présidé par l’archevêque Guy de Châtillon.

Anne fut la toute première reine de France à recevoir elle-même le sacre royal qui n’était réservé jusqu’alors qu’au roi seul. Aucune difficulté d’ordre confessionnel ne sembla avoir été soulevée alors que les relations entre Rome et Constantinople s’étaient dégradées depuis longtemps. Ce ne fut que trois ans après leur mariage, en 1054, que la séparation des Églises d’Orient et d’Occident serait consommée, avec, à la clé, anathèmes et excommunications réciproques.  Anne donna à Henri Ier trois fils, l’aîné fut appelé Philippe en souvenir des rois de Macédoine desquels prétendait descendre la Maison de Kiev.

Sur le plan européen, Henri essaya, semble-t-il, de prendre la Lorraine, ce qui le brouilla avec l’empereur germanique. Il comprit vite que c’était un peu trop tôt pour attaquer de ce côté-là.

Pressé de rétablir les finances royales, il se laissa aller à vendre généreusement des évêchés, ce qui ne fut pas du goût du pape Léon IX. La question n’allait être réglée que pendant les règnes suivants.

Henri 1er sut nouer une alliance fort intéressante avec la Maison de Flandre, en mariant sa sœur Adélaïde avec le comte Baudoin V, grand seigneur, bienfaiteur de la ville de Lille, beau-père de Guillaume de Normandie, puisque sa fille, la célèbre reine Mathilde, avait épousé en 1 056 l’ambitieux Normand.

Fidèle à la tradition déjà bien ancrée, Henri avait fait sans difficultés élire et sacrer son fils aîné Philippe à l’âge de six ans, lequel prononça le serment du sacre de sa jolie petite voix encore enfantine en 1 059. Il était temps car Henri 1er mourut l’année suivante à cinquante-deux ans ! Pour la première fois, le royaume capétien allait se trouver entre les mains d’un enfant mineur. Son oncle, le comte de Flandre Beaudoin V, allait exercer la régence.

Le royaume était de taille à affronter l’épreuve ; les féodaux ne contestaient pas les droits du petit Philippe : désormais la dynastie était bien consolidée. Je donne la plume au duc de Lévis-Mirepoix pour conclure : chez Henri 1er « la volonté de triompher de tant d’embûches, de dominer les troubles où il a failli disparaître n’était pas menée par une ambition stérile du pouvoir, mais par le souci de répondre au serment du sacre qui est de protéger l’Église et les humbles et de faire avant tout respecter la justice »

Tel fut sans doute ce que pensèrent les Français tandis que la dépouille mortelle d’Henri rejoignait celles d’Hugues Capet et de Robert II dans la basilique de Saint-Denis, désormais nécropole royale des rois de France.

 

Une reine-mère un peu volage

Des nouvelles de l’étrange Anne de Kiev pour finir. Depuis qu’elle était veuve, elle vivait à Senlis où il lui était arrivé une singulière aventure. Un beau seigneur, Raoul de Crépy-en-Valois, propriétaire d’immenses terres entre Amiens et Mantes, se mit à rôder autour d’elle. Il la connaissait bien puisqu’il avait fait partie de la troupe de chevaliers chargée par Henri 1er en 1044 d’aller l’accueillir à son arrivée à Montreuil-sur-Mer et de l’escorter jusqu’à Senlis. Depuis lors, il n’avait cessé de rêver d’elle, bien qu’il fût marié, fût devenu veuf, puis fût remarié, semble-t-il sans amour… Alors, ce qui risquait d’arriver n’allait pas tarder à se produire.

Un beau jour, Raoul enleva tout bonnement la reine-mère dans la forêt de Senlis et trouva même un prêtre pour les marier ! Énorme scandale : l’Église lança les foudres de l’excommunication ; Raoul refusait de se soumettre, mais les choses se calmèrent du fait de la disparition de son épouse légitime et mal aimée.

Raoul et Anne vécurent heureux quelques années, puis Raoul mourut en 1071 et les historiens perdirent toute trace de la reine Anne : eut-elle d’autres aventures en France ? Regagna-t-elle son lointain pays ?  On est là devant un grand mystère.

 

L’avènement de Philippe 1er

Voici donc sur le trône un petit garçon de huit ans. Le régent, Baudouin, comte de Flandre, veillait paternellement sur lui et le formait au cours de voyages incessants entre les rives de l’Escaut et celles de la Loire.

Dans le pays, ce n’était pas encore la sécurité, et les évêques avaient bien du mal à empêcher les seigneurs de se quereller pour un oui ou pour un non, voire de massacrer sur leur passage les récoltes, les bêtes et les gens. Mais la féodalité avait mis une sourdine à ses intrigues politiques. Le régent n’était pas contesté, tout juste avait-il à réprimer quelque agitation de seigneurs bourguignons. Les propriétaires de fiefs étaient bien trop occupés avec leurs propres problèmes.

Le goût des entreprises audacieuses était en train de transporter la jeunesse féodale. Le fils cadet de Baudouin de Flandre, Robert le Frison, cousin germain du roi de France donnait lui-même le ton. Il parcourait l’Europe, luttant en Galice contre les Sarrasins, essayant de se tailler une seigneurie en Macédoine, puis secourant, avant de l’épouser, la veuve du comte de Hollande, Florent 1er, en lutte contre des brigands…

Tout laissait à penser que l’on était à l’aube d’une grande époque, la population avait fortement augmenté, le commerce et l’agriculture étaient en plein essor comme en témoignait le développement des foires et des marchés, les routes étaient emplies de foules de toutes classes sociales se rendant en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, à Saint-Martin de Tours, voire à Jérusalem et le royaume de Philippe 1er serait celui d’une pleine floraison économique, religieuse et artistique. Quelle exaltante mission pour ce jeune roi de quinze ans qui, désormais, allait exercer son pouvoir personnel !

Michel FROMENTOUX, membre du Comité directeur de l’Action Française

N'hésitez pas à partager nos articles !
Robert II le pieux, fils d’Hugues Capet

Robert II le pieux, fils d’Hugues Capet

Robert II le Pieux

Je commencerai par évoquer Robert II le Pieux (972-1 031), fils d’Hugues Capet (939-996) et d’Adélaïde d’Aquitaine (945-1 006). Hugues venait d’être élu roi de France et sacré (Noyon, le 3 juillet 987), mais cette élection n’avait pas de portée « démocratique ». Comme l’expliquait très finement l’historienne Marie-Madeleine Martin : « Élu par les seigneurs et l’Église, Hugues dut son titre, avant que cette élection fût intervenue, à ses exploits pour le bien public : là est la racine de son pouvoir. » Les évêques et les barons avaient pu désigner qui exercerait le pouvoir ; ils n’avaient pu prétendre créer le droit à exercer le pouvoir qui relève de Dieu seul. (« Tout pouvoir vient d’En-Haut ») car il faut tenir compte de l’aptitude de la personne, de sa position, de son expérience, de ses compétences, à servir le bien commun.

Hugues Capet appartenait à la famille héroïque de Robert le Fort (mort en 866), laquelle, depuis quatre générations, se dévouait pour la France et exerçait effectivement, sans en porter le titre, la royauté à la place des derniers Carolingiens déclinants.

Roi associé

Maintenant l’heure d’Hugues était venue, il avait su attendre son tour sans violenter l’Histoire. Il fallait l’en louer, mais sa puissance était très relative, il était certes le roi, le sommet de la pyramide féodale, sa personne était respectée et chaque prince féodal savait qu’en droit, c’était de lui qu’il tenait son fief. L’idée d’un arbitre au-dessus des rivalités, revêtu d’un grand pouvoir moral, commençait à se faire jour ; il allait falloir du temps pour qu’elle s’appliquât dans les faits. Pour le moment le roi ne pouvait même pas contraindre ses vassaux à lui fournir le concours de leurs armées.

En 987, Hugues avait quarante-huit ans, mais son installation était loin d’être assurée. Conscient de la précarité de sa situation, il voyait que l’œuvre d’unification et de réorganisation serait de longue haleine, qu’elle exigerait des siècles ; alors, se dit-il, pour réussir, l’important, c’est de durer, donc de soustraire la couronne à l’élection ! Ce fut l’étincelle du génie capétien : il demanda aux évêques et aux barons d’associer à sa royauté son fils aîné Robert, alors âgé de dix-sept ans. Pour emporter l’adhésion des électeurs, il utilisa une lettre qu’il venait de recevoir du comte de Barcelone lui réclamant son secours contre les Sarrasins ; s’il partait, il ne pouvait laisser le royaume sans que sa succession fût assurée. L’argument porta : le jeune Robert fut élu roi associé et sacré dès Noël 987 en la basilique Sainte-Croix d’Orléans. Un petit secret d’Histoire nous dit que le comte de Barcelone fut vite oublié, mais on ne saurait trop admirer cette manière tout empirique de combiner la coutume du temps, l’élection, avec une prodigieuse idée d’avenir. Bientôt, l’habitude fut prise de voir le fils aîné succéder tout naturellement à son père ; il n’y eut, pour obtenir cela, ni coup d’État, ni proclamation d’une loi ! Rien que l’adaptation aux nécessités politiques ! C’est cela, l’empirisme organisateur des Capétiens.

Hugues avait bien fait de commencer par s’occuper de la pérennité de sa dynastie. Car celle-ci allait devoir se défendre… Charles de Basse-Lorraine, l’oncle du dernier Carolingien, revendiquait la succession, donc la place d’Hugues. Il fallut se battre hardiment.

Par ailleurs, Hugues était harcelé par l’un de ses vassaux pourtant directs, Eudes, comte de Blois, qui venait de s’emparer de Melun. Celui-ci en fut délogé grâce à l’appui des troupes du duc de Normandie et au concours du comte d’Anjou, Foulque Nerra. Eudes allait mourir en 996 après avoir demandé la paix.

Un cœur tumultueux

Or voici qu’allaient intervenir les aventures sentimentales du roi associé, Robert. Celui-ci avait été marié, par raison d’État, à Rosala, dite Suzanne, fille du roi Béranger d’Italie et veuve du comte de Flandre Arnoul II. Elle était de vingt ans plus âgée que lui. Au bout d’un an, il en eut assez et la répudia sans que cela fît trop de scandale. Il s’ensuivit tout juste une petite guerre avec le jeune comte de Flandre, Baudoin IV, fils du premier lit de Rosala, car le roi de France entendait bien garder la dot : Montreuil-sur-Mer ; une fenêtre sur la mer !

Or, en 996, Robert s’éprit follement de la veuve d’Eudes de Blois, Berthe. Celle-ci, fille de Conrad de Pacifique, roi de Bourgogne, était sa cousine au troisième degré ! Immense scandale : Gerbert, ami de Robert et qui, entre-temps, était redevenu évêque de Reims, interdit le mariage ; le pape Jean XV menaçait Robert de l’anathème ; et Hugues Capet lui-même déplorait le projet de son fils. Celui-ci s’entêtait, provoquant même un retournement politique en soutenant désormais les enfants du défunt comte de Blois (qui étaient aussi ceux de Berthe) contre la Maison d’Anjou qui avait si bien servi Hugues Capet.

Tant de soucis finissaient d’épuiser le vieux roi,  lequel rendit son âme à Dieu le 24 octobre 996 dans l’amitié des moines et des grands fondateurs d’abbayes. Il n’avait pas été un personnage extrêmement brillant, mais il avait su se montrer fin négociateur, voire cauteleux et louvoyeur.

Robert II était désormais seul roi. Il avait vingt-six ans. Son règne commençait, on s’en doute dans le déchirement, car il était toujours épris de sa cousine Berthe et n’entendait pas céder ! Pire : au lendemain de la mort de son père, il réussit à faire bénir ce mariage par Archambaud, archevêque de Tours ! Le pape Grégoire V, qui venait de succéder à Jean XV, ne saurait tolérer une telle désobéissance : il somma les époux de rompre.

Pendant quatre années, Robert allait braver les foudres de l’excommunication. Pour tente d’amadouer Rome, il alla même jusqu’à sacrifier Gerbert et ramena une nouvelle fois le fameux Arnoul (le fils naturel du roi carolingien Lothaire) à l’évêché de Reims.  C’était se montrer bien ingrat, car Gerbert avait été le précepteur de Robert et gardait une forte influence sur lui. Il se consola quand même assez vite : déjà lié au jeune empereur germanique Othon III, il devint le conseiller de celui-ci, puis, dès 998, il fut archevêque de Ravenne, et juste avant que sonne l’An Mil, il devint le pape Sylvestre II ! Le premier pape français ! Ce fut alors qu’il parvint à persuader son ancien élève de congédier Berthe. Robert s’exécuta en 1001, la mort dans l’âme, mais, après tout, cette femme ne lui avait pas donné d’enfant…

Un roi doit savoir se sacrifier pour la dynastie : il se rendit aussitôt solennellement en Arles pour demander la main de Constance, fille de Guillaume Taillefer, comte de Provence. Cette Provençale était sûrement belle et cultivée, mais elle n’allait pas tarder à se révéler comme un mégère qui ne se laisserait pas aisément apprivoiser. Elle serait le purgatoire de Robert…

Cousine de Foulque Nerra, comte d’Anjou, elle n’eut de cesse d’imposer à la Cour l’influence angevine au détriment d’Eudes II,  comte de Blois, fils de l’épouse congédiée.

N’en tenant plus, Robert allait tenter de reprendre Berthe qu’il aimait toujours et alla jusqu’à Rome pour demander la séparation d’avec Constance. La tentative ne pouvait qu’échouer : alors, il fit contre mauvaise fortune bon cœur et laissa même Constance s’occuper de la gestion des deniers publics. Lui souffrirait le reste de sa vie et pratiquerait la charité.

Car si le nouveau pape était essentiellement un politique, le roi de France, lui, avait une âme de saint. D’après Richer, moine chroniqueur du temps, il était grand, possédait une belle chevelure, un regard modeste, une barbe imposante et toujours bien peignée, «  une bouche suave et douce pour donner le baiser de la sainte  paix ». Quand il montait à cheval, ses doigts de pied rejoignaient presque le talon et l’on disait que c’était un miracle….

L’Église lui doit la musique et les paroles de nombreux hymnes liturgiques, qu’il interprétait lui-même dans le chœur et dirigeait avec douceur et talent. Et Constance se régalait des rimes dont jouait son époux avec le nom Constance…

Candeur évangélique

Quelques exemples de la charité royale : un soir qu’il soupait à Étampes, sous le regard grincheux de la reine Constance, Robert ordonna que l’on fît entrer les pauvres et les mendiants ; l’un d’eux se glissa aux pieds du roi lequel le nourrissait en cachette sous la table. Mais le pauvre ne perdit pas son temps : il mangea et, surtout, il découpa un ornement d’or qui pendait au vêtement royal, puis il s’esbigna… Quand Robert se leva et s’aperçut du larcin, il ne s’indigna point, disant à son entourage que cet or serait peut-être plus utile à celui qui l’avait emporté qu’à lui-même. Et comme un autre pauvre s’apprêtait à lui couper une frange de son manteau, le roi se contenta de lui dire d’en laisser un peu car un plus pauvre aurait peut-être besoin du reste…

Ne croyons pas toutefois que ce saint homme négligeait la politique. Il savait alors se comporter en suprême justicier. L’historien Funck-Brentano le décrivait « sur les routes, heaume lacé en tête, avec cuissard, gorgerette et haubert », et les chroniques du temps évoquent ses luttes incessantes, ses véritables opérations punitives contre les féodaux trop turbulents du domaine royal : « Toujours en guerre, assiégeant les châteaux, s’efforçant, la lance au poing, de faire régner la paix et la justice. »

Le moment vint de renouer avec la sagesse de son père. En 1017, il fit élire et sacrer son fils aîné Hugues, qui avait dix ans. Hélas, celui-ci mourut jeune en 1025 ! Et ce fut Henri, déjà duc de Bourgogne, que Robert fit élire et sacrer en 1027 à dix-neuf ans. À chacun de ces sacres, la plupart des grands vassaux étaient présents : preuve que la volonté royale de soustraire la souveraineté à toute compétition commençait à être comprise dans l’intérêt de tous.

Mais l’imprévisible Constance était toujours là pour envenimer les choses. Vers 1030, elle s’évertua à dresser ses fils contre leur père, exploitant l’impatience d’Henri d’accéder au gouvernement effectif de la Bourgogne. Ce fut à ce moment que mourut Robert II à soixante et un ans, le 20 juillet 1031 à Melun.

Son règne avait fait grandir en prestige le monarchie capétienne. Certes sur son propre domaine, les féodaux lui avaient mené la vie dure, mais il sut les contenir. Certes, s’élevèrent de façon inquiétante les deux maisons rivales : celle d’Anjou – Foulque Nerra conquit la Bretagne et la Touraine ! – et celle de Blois – Eudes II s’empara de Meaux et de Troyes. Mais devant un roi si pénétré de sa dignité et bien décidé à la faire prévaloir, ces ambitieux arrivaient à se dominer.

Comme l’écrivait le duc de Lévis-Mirepoix : « Dès sa génération, la dynastie n’est plus contestée dans sa légitimité de principe. Les plus humbles s’y reconnaissent. Elle ne défie personne. Une espèce de candeur évangélique, en dépit des troubles du temps, plane sur elle. »

Tel fut le roi Robert II le Pieux. 

Michel FROMENTOUX

 Article paru dans le journal Rivarol

N'hésitez pas à partager nos articles !