Les vices de la pensée (I)

Les vices de la pensée (I)

Être d’Action Française, c’est œuvrer à la restauration nationale, c’est-à-dire au redressement d’une nation – cadre nécessaire pour qu’une parcelle d’humanité puisse bâtir le bien commun.                                      

Ce grand mouvement nécessite que nous pensions clair et que nous marchions droit selon l’adage qui est le nôtre. Or, rien n’est plus difficile que de penser clair quand les esprits partent à vau-l’eau et ne parviennent pas à se rattacher au roc de la pensée classique occidentale.

Aussi, avant même de s’instruire, de se cultiver ou de se forger ce que l’on peut nommer une bonne culture politique, il convient d’écarter certains vices de la pensée qui nous ôtent toute possibilité de saisir le réel – car il ne s’agit jamais que d’essayer de s’ancrer dans ce réel. Pour illustrer notre propos, nous nous arrêterons sur deux exemples, deux a priori de la pensée, deux vices de celle-ci.

Le premier vice se divise en deux maladies : la pensée légale et la pensée complotiste.

Les rouages des différents événements que nous subissons sont toujours difficilement perceptibles, dissiper les ténèbres des actes humains n’est pas chose aisée et c’est pourquoi l’esprit peut tomber dans quelques facilités. Deux écueils se présentent souvent à nous, soit considérer que les mouvements sociaux sont systématiquement issus d’une pensée créatrice humaine se réalisant secrètement, soit penser que toute mécanique humaine est nécessairement exposée en pleine lumière.

La personne atteinte du vice de la pensée légale ne pourra jamais imaginer que des gouvernements ne puissent vouloir autre chose que le bien du peuple, que des dirigeants puissent mentir et être à la solde de forces plus discrètes. Quant à la pensée complotiste, elle ne pourra envisager sans réticence que certains actes ne sont posés que par bêtise, incompétence et ce de bonne foi !

L’un pensera que le complot – chose horrible – ne peut exister et n’est que la création d’esprits malades et l’autre ne pourra envisager les choses que sous le prisme d’un complot qui n’est plus qu’une grille de lecture appliquée a priori.

Ces deux écueils résultent tous deux d’un complot-centrisme déviant ; le complot est un élément d’une banalité sans nom et ne doit être en aucun cas absolutisé. Quand vous préparez une surprise pour un anniversaire, vous complotez. Quand vous cherchez avec d’autres personnes à nuire à quelqu’un, vous complotez. Le complot est un élément commun de l’action humaine et une arme utilisée couramment pour atteindre un but donné et cela aux différents échelons de nos sociétés. Est-ce que de grandes multinationales complotent contre les peuples pour faire des profits ? Certainement, rien de plus commun et de plus habituel – et ce hors de toute considération morale. Aussi, l’accusation de complotisme, maniée avec hargne en ces temps perdus, ne peut que nous faire sourire tant elle ignore une réalité perceptible immédiatement par tous : le complot est un mode habituel d’action.

Néanmoins, cela ne signifie nullement que tout est complot et que tous les complots s’unissent pour ne former qu’une seule conspiration mondiale – et nous ne disons aucunement que ce n’est pas hic et nunc le cas. Il ne s’agit pas ici de nier les grands complots, mais de rappeler que la mise en pleine lumière d’un complot doit être induite d’une démarche partant des faits.

L’accusation de complot doit être le résultat d’une induction et non une grille de lecture faite a priori de la recherche ; autrement nous ne sommes pas dans une recherche du réel, mais dans un système idéologique qui noiera les saines intuitions dans un flot d’erreurs.

Si le milieu nationaliste semble assez préservé de la pensée légale, il peut être tenté par la facilité qu’est la pensée complotiste, c’est-à-dire le fait d’avoir une grille de lecture toute faite des événements – qui se fonde sur de vrais éléments, mais qui, étant un système, empêche la parfaite adéquation de l’esprit avec la réalité. Or, rappelons avec notre maître saint Thomas d’Aquin que la vérité est l’adéquation de la pensée et des choses (« veritas est adæquatio intellectus et rei »).

Notre force étant d’avoir raison, il est nécessaire que nous nous fondions sur la vérité qui n’est jamais rien d’autre que la saisie des réalités par notre intelligence. Ne soyons jamais idéologues, soyons réalistes et alors, ayant raison, nous pourrons avoir la force de triompher.

Guillaume Staub

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Jean-Jacques faux prophète par Charles Maurras

Jean-Jacques faux prophète par Charles Maurras

Voici un texte par lequel Maurras, au cours d’une controverse avec Henri Guillemin, précise et sa pensée sur Jean-Jacques Rousseau

Henri Guillemin (1) a repris dans la Gazette de Lausanne (2) sa violente offensive en faveur de Rousseau. Il m’a mis en cause deux fois. La première m’a laissé silencieux, pensant qu’il valait mieux, en ce moment, que deux Français ne donnent pas le spectacle de leur dispute par-dessus la frontière, devant un public en partie étranger. M. Henri Guillemin revient à la charge. Allons-y.

M. Guillemin veut que la raison profonde de mon « aversion pour Rousseau » tienne à ce qu’il « apportait Dieu » (3). Ces mots sont la couronne de son article, c’en est le plus bel ornement. Ce n’est qu’un ornement. Car ou bien Dante et Bossuet n’apportaient pas Dieu, ou bien j’ai Dante et Bossuet en aversion. Les deux invraisemblances devraient faire réfléchir M. Henri Guillemin.

Je hais dans Rousseau le mal qu’il a fait à la France et au genre humain, le désordre qu’il a apporté en tout et, spécialement, dans l’esprit, le goût, les idées, les mœurs et la politique de mon pays. Il est facile de concevoir qu’il ait dû apporter le même désordre sur le plan religieux.

Mais, dit-on, les matérialistes de l’Encyclopédie l’ont détesté et persécuté parce qu’il avait des « principes religieux ». Soit. Il en avait par rapport à eux. Mais l’immense majorité de la France catholique du XVIIIe siècle voyait dans sa doctrine ce que les théologiens appellent le Déisme : une immense diminution de leur foi, et, de ce point de vue, ce qu’il avait de plus ou de mieux que d’Holbach et que Hume se chiffre par un moins et un pis par rapport à cette foi générale d’un grand peuple ou l’incrédulité n’était qu’à la surface d’un petit monde très limité.

On ajoute que Rousseau ralluma le sentiment religieux. Ici ? Ou là ? Cela a été possible ici, mais non là ; car là, il l’affadit, l’amollit, le relâcha, le décomposa. M. Henri Guillemin reproche aux ennemis de Rousseau leurs contradictions, il néglige celles de son client. Quand la contradiction est dans les choses et dans les hommes, il faut bien que ce que l’on en dit la reflète.

Ce n’est la faute de personne si la liberté est le contraire de l’oppression, et si néanmoins l’individualiste liberté des Droits de l’Homme mena tout droit à la Terreur : le jacobin ne fut qu’un libéral, heurté et irrité par la résistance de la nature des hommes, lesquels, dès lors, ne lui semblèrent que des monstres à guillotiner.

Ce n’est pas la faute du bien s’il est le contraire du mal, et si pourtant un homme qui est ivre ou fou d’optimisme et de philanthropie devient, au premier heurt de la nature ou de la société — du Réel, un misanthrope atrabilaire.

Ce n’est la faute de personne si, la Tradition étant le contraire de la Révolution, Rousseau s’est montré tour à tour traditionnel et révolutionnaire, car tantôt il suivait le faux brillant de ses imaginations, et tantôt un autre caprice de sa fantaisie lui faisait parler le langage de tout le monde : mais ce ne sont pas ses propos de sens commun qui ont agi sur son siècle, c’est le Contrat social, c’est le Discours sur l’inégalité des conditions, c’est toute la partie de son œuvre ou l’absurdité la plus dangereuse est codifiée.

« Au commencement de ma carrière », d’après M. Guillemin (exactement, en effet, dans un article de 1899), j’ai comparé Rousseau et les roussiens aux prophètes juifs. J’ai eu tort. J’aurais dû dire: aux faux prophètes. Un quart de siècle plus tard, réimprimant le même morceau — page 6 de la préface de Romantisme et révolution (4) parue en 1923 — j’ai écrit « faux prophètes ». Cette correction traduisait beaucoup mieux ma pensée. Ce que je voulais ainsi montrer dans Rousseau c’était le cas-type de l’insurgé contre toutes les hiérarchies, le cas essentiel de l’individualisme anarchique. Les vrais prophètes poursuivaient de leurs invectives le sacerdoce, la royauté et principalement tous les pouvoirs constitués, sociaux et moraux, mais ils le faisaient par une inspiration directe du Roi des rois et de la Puissance suprême. Au contraire, les faux prophètes (et le diable sait s’ils furent nombreux en Israël !) exprimaient contre les pouvoirs réguliers leurs passions, leurs fantaisies, leurs intérêts ou leurs pitoyables raisonnements, tout comme Rousseau, avec qui leur ressemblance est constante, quant à la frénésie, aux rêveries, aux révoltes, tout l’esprit révolutionnaire de l’Orient. Sans doute, ces contrefacteurs se prévalent-ils aussi de la divinité, mais les caractères qu’ils lui donnent sont d’une qualité sur laquelle il est difficile de se tromper : ce n’est pas Dieu.

Je finirai par deux signes d’un étonnement profond.

Premier point. Comment l’expérience du roussisme depuis 200 ans n’a-t-elle pas illuminé l’unanimité des Français ? Que Rousseau ait été tout ce qu’on voudra, il n’est pas niable qu’il est à l’origine de notre première Révolution, celle qui a emporté tous nos premiers remparts, bouleversé notre premier fond national. Qu’il n’en ait pas été le seul inspirateur, nul ne le conteste. Mais son apport fut le décisif : son tour sentimental, son accent de vertu fut capable d’accréditer beaucoup de choses suspectes et d’en inspirer d’autres plus pernicieuses et plus vicieuses encore. Son trouble génie multipliait le trouble hors de lui. C’est là ce qui fit sa plus grande puissance pour le mal. Napoléon n’aurait point fait tant de mal non plus, avec tout son génie et toute son énergie, sans le mélange de son esprit constructeur avec l’héritage révolutionnaire : aussi bien, disait-il lui-même, que, peut-être, eût-il mieux valu que Rousseau et lui n’eussent jamais existé. Encore un coup, ce jugement devrait faire réfléchir tous les Français. En vérité, au degré ou voilà le pays déchu, ce n’est pas le moment de ramener qui que ce soit à l’école de Rousseau ni de réhabiliter celui-ci (5).

Second point. Seconde stupeur. Comment des hommes de mœurs irréprochables et même sévères et pures — comment des maîtres de la jeunesse peuvent-ils honorer l’auteur d’un livre comme les Confessions ? Un personnage comme le héros des Confessions ? Et l’esprit de ce livre où l’humilité même sent l’orgueil ou sent la révolte ! Il m’a toujours donné un malaise affreux. Peu suspect de bégueulerie et au risque d’être traité de renchéri et de coquebin, je dois dire que l’épisode de Mme de Warens me lève le cœur ; ni le nom de « maman » qu’il donne à sa maîtresse, ni le trépas odoriférant de la dame initiatrice, ni le récit de tout cela, écrit, signé et publié, ne peut manquer de m’administrer, à chaque lecture, un égal sentiment de l’odieux, du ridicule et du dégoût. Ai-je assez blasphémé ! Et maintenant, voici ma tête, cher Monsieur Henri Guillemin.

Dans le moment où M. Guillemin poussait sa pointe, une occasion m’était donnée, en Suisse même, de préciser ma pensée sur Jean-Jacques.

Au cours d’une réception au Cercle des Arts de Genève qui avait suivi ma conférence sur Maurice Barrès, M. Albert Rheinwald, président du Cercle, rappela délicatement que Barrès lui envoyant, en 1917, la plaquette contenant le discours prononcé à la Chambre le 11 juillet 1912 contre l’octroi des crédits pour la célébration du deuxième centenaire de Jean-Jacques, avait ajouté : « En jugeant durement Jean-Jacques, je juge et condamne une partie de moi-même. » Et M. Rheinwald s’adressant à moi, poursuivait : « Selon vous, pour restaurer l’ordre français, il faudra s’inspirer de l’ordre grec… Hélas, je vois bien qu’alors ce genevois Rousseau n’aura plus droit au chapitre. Oserai-je dire que ce sera dommage ? Car enfin s’il faut éliminer Rousseau, c’est Chateaubriand et Lamartine et c’est Hugo qu’il faut éliminer aussi. Et c’est encore Delacroix… Pourquoi ne pas voir ce qu’il y a de sagesse dans le romantisme éternel ? »

À cette double interrogation et en remerciant mon aimable interlocuteur d’avoir si bien senti et dit comment un grand poète, doublé d’un grand citoyen, avait été capable de condamner une « part de lui-même » sur les exigences de l’ordre français, je ne me sentis point gêné d’avoir à ajouter que, si un tournoi sur le Romantisme et la Grèce excédait les mesures de la soirée, je tenais à ne pas refuser celle rencontre sur Rousseau. « Là, soulignais-je, il faudrait d’abord bien savoir ce que l’on veut débattre de précis. On nous objecte quelquefois que Rousseau donna d’excellents conseils politiques et les plus traditionnels du monde aux Corses et aux Polonais. Mais ce ne sont pas ces conseils qui ont agi sur nos Constituants ni sur Robespierre… Ce n’est pas avec ces conseils-là que Rousseau pesa sur son siècle, ni qu’il troubla l’ordre français. Quant à reconnaître une part de soi-même dans ce que l’on condamne, c’est le sort commun : je pourrais, tout indigne, vous réciter par cœur des tirades de La Nouvelle Héloïse… Qu’est-ce que cela prouve ? Le talent littéraire de son auteur. Bossuet a fait deux grands élèves au XVIIIe, Buffon et Rousseau. Les erreurs et les fautes de la pensée sont séparables de la beauté des cadences. Il importe en toute chose de distinguer pour ne pas confondre, sans quoi nous résorberions au chaos primitif, et l’excellence de cette liqueur russe [c’était un petit verre que mes hôtes m’avaient versé] nous ferait aimer les bolchevistes, à moins que leur méchanceté ne nous fasse haïr cet excellent kummel… Préservons nos pays de ces confusions, vraies mères des querelles et des révolutions ; gardons l’esprit libre et critique, notre goût, notre sens de l’amitié des hommes, et surtout honorons la grâce, en vérité, suprême et toute nationale, avec laquelle un Français de génie sut inventer les plus délicates formules pour exprimer un dissentiment, l’atténuer et, quand il le fallait, soit l’ennoblir, soit le faire oublier. »

15 avril 1942

Charles Maurras

(1) Henri Guillemin, 1903-1992, fut au sortir de l’École normale supérieure, où il se lia avec Jean-Paul Sartre, le secrétaire de Marc Sangnier. À ce titre Maurras et lui, après l’âpre et longue polémique entre l’Action française et le Sillon, n’étaient pas des inconnus quand en 1942 Guillemin fuit la France pour s’installer en Suisse. C’est de Neuchâtel que Guillemin écrit plusieurs articles auxquels Maurras répond par notre texte dans L’Action française du 16 avril 1942. Ce texte a ensuite été repris en 1944 dans le recueil Poésie et Vérité d’où nous le reprenons. (n.d.é.)

(2) Journal d’orientation libérale, il commence à peine durant la guerre à devenir l’institution que sa rubrique culturelle fera de lui jusque dans les années soixante. (n.d.é.)

(3) Soyons reconnaissants à Ch. Maurras, écrivait M. Guillemin, de n’avoir point dissimulé, quant à lui, dans les premiers temps de sa carrière, la source la plus profonde de l’exécration qu’il porte à Rousseau. Jean-Jacques possédé d’une « rage mystique », « aventurier nourri de révolte hébraïque », apparut parmi nous « comme un de ces énergumènes qui, vomis du désert… promenaient leurs mélancoliques hurlements dans les rues de Sion » (A. F. 15 octobre 1899). Énergumène ? C’était bien ainsi que Voltaire, en effet, s’exprimait sur le compte de Jean-Jacques dans sa Guerre de Genève : « …ce sombre énergumène, cet ennemi de la nature humaine ». « Il leur apportait Dieu — disait Victor Hugo en parlant de Gwynplaine chez les Lords. Qu’était-ce que cet intrus ? »(Gazette de Lausanne, 12 avril 1942.)

(4) Romantisme et Révolution, volume qui reprend en fait L’Avenir de l’intelligence et Trois idées politiques, vaut surtout par cette préface. (n.d.é.)

(5) Depuis que ces lignes ont été écrites, M. Henri Guillemin a confié à J. L. Ferrero que son sentiment sur Rousseau s’était modifié. « D’emblée, avec chaleur, écrit M. Ferrero, M. Guillemin répond avec rapidité aux questions et objections que lui posent à bâtons rompus ses interlocuteurs. C’est d’abord une amende honorable : s’il avait à refaire sa conférence sur Rousseau, il n’en prononcerait plus le même panégyrique. Certaines découvertes l’ont fait déchanter. Le cas Rousseau apparaît plus complexe encore qu’il ne croyait. En l’occurrence, il s’agit de lettres à Mme d’Houdetot, des années 1756-57. Années cruciales pour Jean-Jacques. » Ainsi se perd-on et se reperd-on dans le détail. L’essentiel seul importe.

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Notre maîtresse en politique c’est l’expérience par Charles Maurras

Notre maîtresse en politique c’est l’expérience par Charles Maurras

L’expérience ressemble à la Muse, elle est la fille de Mémoire.

L’histoire n’est pas une épreuve de cabinet : cependant ses répétitions indéniables, en des circonstances tantôt identiques et tantôt diverses, permettent de dresser, avec une rigueur satisfaisante, des tableaux de présence, d’absence et de variations comparables à ceux qui favorisent le progrès de l’étude de la nature. On a beau soutenir sur le papier, qui souffre tout, l’originalité absolue, l’unicité des phénomènes historiques. Ils sont originaux, ils sont uniques, mais leur suite ne l’est pas.
Bainville admirait le tableau des monotones « suites » du monde et les stables vertus du composé humain. Les va et vient de l’histoire portent des constantes telles que, bien conduite, elle permet des prévisions sans souffrir de dérogations.
L’expérience de l’histoire contient la science et l’art de ce genre de découvertes : si nulle idée préconçue n’en a réglé le développement, le résultat s’est trouvé être et est de plus en plus favorable aux idées de contre révolution, d’antilibéralisme, d’antidémocratie. L’expérience de l’histoire est pleine des charniers de la liberté et des cimetières de l’égalité.

La constante humaine enseignée par l’histoire

L’art de bien veiller sur la sécurité des peuples rejoint les principes directeurs de tous les arts élémentaires ; la première vérité dont un philosophe ou un magistrat doive se pénétrer est que le monde se modifie avec une extrême lenteur, si toutefois il se modifie. Les parties variables sont les moins importantes. Ce qui importe apparaît constant. C’est sur les grands traits généraux de la constance humaine qu’il est urgent de nous régler toutes les fois que nous songeons à quelque arrangement d’avenir.
A force de nous montrer des masses qui évoluent et des aspects qui se transforment, on nous cache les ouvriers de l’évolution et les artisans de la transformation. Sans les chefs, sans les saints, sans les héros, sans les rois, l’histoire est inintelligible. Une nation se compose de nations, une race de races, un État d’États. Qu’il s’agisse de la féodalité, des communes ou de l’Église, la vraie vie n’est point dans les membres successifs, accidentels et éphémères, mais dans les liaisons invisibles qui donnent à l’ensemble quelque unité. C’est de cela non d’autre chose qu’il faut écrire l’histoire : l’histoire de France et non l’histoire des Français.
L’histoire universelle en son détail est impossible. La loi d’ensemble qui la simplifierait et la condenserait en une grande et forte leçon, cette loi générale ne me paraît pas découverte. L’historien utile sait isoler un fait, circonscrire une action, décrire un personnage : le fait, l’action, le personnage qui peuvent permettre de saisir un comment des choses humaines. Le champ de notre expérience en est augmenté et nous sommes mieux en mesure de comprendre et d’interpréter les faits présents et à venir.
Bien que les cas, les faits soient en nombre infini, si cependant vous connaissez avec un peu de détail et à fond la manière dont Chicago, Athènes et Quimper Corentin se sont développés, vous avez la chance de vous rendre compte aisément de la courbe suivie par la plupart des autres villes et des autres États. Certes, il faut toujours vous attendre à quelque surprise : la nature et l’histoire sont pleines de pièges tendus à la fatuité des mortels. Mais cette vérité est aussi contenue dans l’histoire d’Athènes, de Quimper et de Chicago…
Si pour faire une fable, vous prenez dans la main une pincée de sable et que vous écoutiez le murmure confus des atomes innombrables, vous vérifierez si vous êtes sage, que, sur cent voix, quatre vingt dix neuf conseillent : d’avoir confiance. La centième dit : méfie toi, et le double conseil est juste, rien ne se faisant sans critique, rien sans foi.

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