Humeur du temps

Humeur du temps

D’une seule voix, orthodoxes du marxisme et leurs frères jumeaux, les sectateurs du capitalisme s’emploient à nous convaincre que la politique n’est qu’une simple superstructure transitoire et amovible, et lui substituent l’économie en tant que moteur déterminant de l’Histoire ; de sorte que les activités humaines se voient ainsi essentiellement limitées à des échanges entre producteurs et consommateurs, où chacun est supposé trouver son meilleur compte. Peu importe qu’ensuite les groupes humains soient organisés selon les règles contraignantes d’un socialisme totalitaire, ou gérés par la tyrannie des grands intérêts de la finance sans frontières. Ainsi  corrompue dans son essence même, la Cité sort inévitablement des voies par lesquelles seules elle peut se faire, conformément à la nature de l’homme, pourvoyeuse du bien commun nécessaire à son épanouissement.

    Mais cette déviation mortelle n’est pas la seule à atteindre la Cité dans son existence même. Si Aristote et St Thomas d’Aquin ont raison, la politique étant connaturelle à l’homme, le « politique d’abord » de Maurras ne fait qu’indiquer l’ordre des moyens dans lequel doivent être posés les actes salvateurs : sans une certaine qualité du temporel, ni l’homme ne peut être heureux ici-bas, ni il ne peut accéder normalement à la perfection ultime à laquelle il est appelé en tant qu’être spirituel. Et Péguy de parler du « grand mystère de cette ligature du temporel et du spirituel », de cette « incapacité absolue du spirituel de se passer du temporel » !

            C’est pourquoi ils sont tout autant les ennemis de l’homme réel et de la Cité ceux qui, niant implicitement la distinction entre l’ordre de la nature et celui de la grâce, croient pouvoir sauter par-dessus les nécessités absolues du politique, pour établir, on se demande bien comment, un esprit juste et de bonnes mœurs, d’où découleraient de bonnes institutions. C’est bien l’ordre social qui prévaut, mais cet ordre ne peut naître ex nihilo ; ce sont les bonnes institutions, et elles seules, qui  sont capables de fournir le socle sur lequel fleurissent naturellement les idées droites et permettent l’épanouissement de cette vertu moyenne qu’Aristote fixe comme objectif à l’ordre politique conforme à la raison. Inverser cet ordre est une dangereuse chimère, pour ne pas dire une ineptie, et renvoie aux calendes grecques l’accession au bien commun.

            On peut toujours, bien sûr, et on le doit, s’employer au changement des mœurs pour faciliter l’instauration à terme de bonnes institutions ; mais, en vue de celles-ci, la voie la plus conforme à la nature et à la raison est l’action proprement politique, visant le régime en place.

   Philippe Champion

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Jeanne d’Arc par Maurras

Jeanne d’Arc par Maurras

Les privilégiés qui disposent du Dictionnaire politique et critique de Charles Maurras pourront y relire les pages émouvantes et pertinentes consacrées dans le tome deuxième à la sainte de la Patrie :

– Jeanne d’Arc et les Républicains (Action Française du 5 juin 1913, Pp.347-349).

– Sainte Jeanne d’Arc (Action Française du 7 avril 1919, pp. 349-351 )

– La figure de la Patrie (Action Française du 8 mai 1927, pp. 35 1-354)

– Autres leçons de Jeanne d’Arc (Action Française du 13 mai 1928, pp. 354-355 ). Nous en donnons ici un bref extrait.

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“Un autre trait doit être observé par toute la vie tragique de Jeanne d’Arc. Trait non de classe, mais de race historique, particulier à tout ce qui s’inspire un peu largement des traditions orales ou écrites de la France : c’est la florissante vigueur, la jeune hardiesse, la souplesse de sa raison. Les amateurs de poésie pure croient que la raison sèche l’âme ou opprime le cœur. Mais ont-ils apporté une once de critique à la lecture de l’interrogatoire de Jeanne ? Face aux arguties captieuses, une logique ailée s’allie au jugement le plus délicat. Il est de Jeanne d’Arc, le grand mot par lequel est jugée éternellement la méthode de diffamation assassine et qu’elle a dû jeter à quelque valet de greffier qui lui reprochait de n’avoir servi ni l’Eglise ni la Patrie : – Ah! Vous écrivez bien ce qui est contre moi, mais vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi! “

Ainsi la reine vierge des bons guerriers d’Action française pourrait aussi servir de protectrice et d’intercesseur à ceux de leurs amis qui ont été conduits à faire un usage public des puissances de la persuasion et de la raison. Elle en prêche l’exemple, et elle en donne les leçons, qu’il s’agisse de distinguer ou de réfuter, de conclure ou de rectifier. Ce jeune chef de guerre dont les inventions stratégiques sur le champ de bataille frappent les hommes de métier d’une stupeur pleine d’admiration, la voilà sans arme et sans compagnon dans la geôle, dans le prétoire. Réduite à elle seule, sans avocat ni conseiller, elle invente cette défense qui répand des nappes de lumières égales, traversées de soudaines brusqueries comparables aux divines fulgurations. L’amalgame inouï du sublime avec le bon sens !

C’est contre cette enfant unique de la France, contre cet abrégé de tout ce que la chrétienté médiévale a produit et peut-être a rêvé de plus pur, que l’envahisseur étranger avait suscité toutes les autorités qu’il avait pu réunir, suborner, soudoyer. Je lis dans un discours, prononcé à la Cathédrale d’Orléans, par un évêque français, ce jugement terrible porté sur les juges ecclésiastiques par qui le bûcher de Jeanne fut allumé : Quels juges! Des hommes, a-t-on dit, dont la science théologique n’était qu’un moyen de faire leur carrière ; un Pierre Cauchon, devenu évêque et qui aspire au siège archiépiscopal de Rouen ; un Jean Beaupère, qui, lui, bien que manchot de la main droite, a su de la gauche faire râfle de riches prébendes ; un Nicolas Midy qui cumulait « tout, les titres et les bénéfices, les violences et les hontes » ; et d’autres personnages qui, quelques mois plus tard, au Concile de Bâle, feront figure de schismatiques.

“C’est devant un pareil tribunal que Jeanne subira d’interminables interrogatoires où par l’imprévu, la multiplicité et l’incohérence voulue des questions, on essaiera de la troubler et de la déconcerter. Quel drame! D’un mot, d’un geste, quand il semble qu’elle est perdue, elle écarte les subtilités dont on cherche à l’embarrasser, repousse les accusations mensongères, démasque les perfidies cachées et s’élève dans une atmosphère de pureté et de vérité”.

“Elle s’élève, c’est cela! Au-dessus des douleurs de la sentence. Au-dessus de la honte du tribunal. Dans cette vérité qu’elle sert et qui la défend. Une vérité qui la garde intacte, comme un cristal, comme un diamant, comme les pures flammes arrondies en bouquet autour de la martyre, au-dessus de la corruption et que rien ne saurait corrompre. Ce qui est, est. Ce qui a été, a été. Il n’y a rien de plus inviolable que les mérites et l’honneur d’un noble passé. Heureux qui appuie là-dessus les forces, les espoirs, les desseins du noble avenir !”

N. B. Charles Maurras est encore l’auteur d’un petit livre introuvable Méditation sur la politique de Jeanne d’Arc, illustré par Maxime Real de Sarte. 

 

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Il y a 20 ans disparaissant Gustave Thibon

Il y a 20 ans disparaissant Gustave Thibon

Gustave Thibon a rendu son âme à Dieu le 19 janvier 2001. Il n’aura dépassé l’orée du siècle nouveau et du millénaire nouveau que le temps d’y jeter, telle une bouteille à la mer, le message qu’il nous appartient de recueillir, nous, ses amis, à savoir que, dans tous les bouleversements de notre vilain temps, quand tout nous semble obscur, quand l’éclipse semble atteindre même les vérités divines, ce n’est pas la lumière qui nous  abandonne, mais c’est « notre regard qui manque à la lumière ».

Fils de la terre ardéchoise âpre et ardente, où l’appel des cimes vers l’infini nourrit les cœurs terriens et réalistes, Thibon a semé toute sa vie une sagesse de nature à aider ses lecteurs et ses auditeurs à retrouver le mystère caché derrière les choses, derrière les mots, à l’aune duquel se trouvent relativisés nos agitations, nos matérialismes, nos illusions…

Qui ne se souvient de son pas balancé, de sa stature solide, de son savoureux accent chantant, de ses observations paysannes, de ses intarissables citations de Mistral, de Hugo, de Maurras, de Nietzche…? Son langage clair et imagé élevait l’esprit des foules, que ce fût dans son Vivarais, à Paris ou à l’étranger, aux Associations familiales catholiques, aux congrès de l’Office à Lausanne, aux réunions royalistes des Baux de Provence, à l’Institut d’Action française, ou encore, lors de ses passages trop rares sur le petit écran.

Sous le brûlant soleil du Bas-Vivarais, des bords du Rhône ombragés de saules et de peupliers où rôtissaient vignes et oliviers, au plateau entaillé de gorges et de recoins mystérieux, puis aux landes peuplées de buis rabougris et trouées de grottes, Gustave Thibon, né le 9 septembre 1 903 à Saint-Marcel-d’Ardèche, non loin de Bourg-Saint-Andéol, presque aux portes de la Provence, passa toute sa vie sur son sol natal, dans son mas de Libian.

Il m’apparut toujours comme l’incarnation de l’âme vivaroise pétrie de terre ardente et de besoin d’infini. Contemplant au soleil couchant par-dessus les feuillages scintillants, l’horizon majestueux qui s’étend de l’autre côté du Rhône, du Vercors au comtat Venaissin et que domine le cône du Ventoux, il connut ici ses premières émotions esthétiques : « Je percevais en cette vision le reflet d’un monde dont l’homme ne peut saisir que par éclairs la pureté mystérieuse et je sentais s’agiter au fond de mon âme ce levain de nostalgie, cet appel amer et doux vers l’impossible que laisse après soi le contact avec la beauté trop parfaite. » 

Cette existence entre terre et ciel se déroula jusqu’à vingt ans dans la ferme paternelle . Puis Gustave eut soif d’aventure, quitta le nid, essaya ses ailes …et revint puiser sur son sol ancestral les leçons d’ordre et d’équilibre compensant son tempérament un peu anarchique. Il fut alors pris d’une irrépressible frénésie de savoir : il apprit tout seul le latin, le grec, l’allemand, le provençal, les mathématiques, la biologie, la médecine, il dévora les ouvrages des philosophes et des poètes.

Thibon au rassemblement  royaliste des Baux en 1986

Restauration intérieure

Léon Bloy et Jacques Maritain le remirent sur le chemin de la foi de son enfance. Il rencontra Gabriel Marcel, Marie Noël, Charles du Bos, Charles Maurras… Il se prit d’admiration pour Frédéric Mistral, Victor Hugo, mais aussi pour Hegel, Klages, Nietzsche, ces antithèses de la mesure grecque et de l’équilibre latin. Il s’enthousiasma pour saint Jean de la Croix, «  le plus extrémiste de tous les saints ».

Ses premiers livres ayant paru sous le régime du maréchal Pétain (Diagnostics en 1 940, Destin de l’homme en 1 941, L’échelle de Jacob en 1 942, Retour au réel en 1 943…) certains lecteurs superficiels ont voulu faire de Thibon le philosophe du simple retour à la terre. C’est oublier qu’il appelait essentiellement les Français abasourdis par la défaite à une restauration intérieure, à une remise en valeur du sens des responsabilités dont le paysan, échappant à la sécurité facile autant qu’à l’esprit d’aventure, était le meilleur exemple. « Ce besoin de restauration intérieure dans la France occupée était tout le contraire d’une esquive. Si l’individu le plus fort peut être tué du dehors, une nation ne peut mourir que de faiblesse. Il s’agissait donc impérieusement, impérativement, de revivifier la nôtre. »

Ne nous méprenons pas sur sa façon d’évoquer la vie des paysans du temps de son enfance : « Bornés en surface, les paysans n’avaient d’autre ressource que de s’enfoncer dans l’épaisseur : la profondeur était la dimension naturelle de leur vie ». Avec cela, ils étaient au large dans le temps, œuvrant pour continuer les ancêtres et pour préparer leur descendance. Certes, cette vie présentait certains côtés étouffants, mais les vertus sociales, dont la religion constituait la trame, avaient le mérite « d’assurer à l’intérieur de la masse humaine, qui n’est composée ni de héros ni de saints, une certaine continuité de mœurs ».

Au-delà du passé

Cela dit, Thibon n’était pas l’homme des exhumations. Pour lui, le passé n’avait d’intérêt que dans le mesure où sa durée reflétait la marque de l’éternité. Assistant en moins d’un siècle à plus de bouleversements que le monde n’en avait connu durant trois millénaires, il ne succombait ni au mythe du progrès (« l’accélération continue est le propre des chutes plus que des ascensions »,  « être « dans le vent » est le rêve de la feuille morte) ni à celui du repliement sur soi, mais il tremblait pour l’avenir plus qu’il ne pleurait sur le passé, en voyant le monde s’écarter des lois intangibles de la création. « Le monde n’était pourtant pas resté figé au cours de ces trois mille ans et cela donne à penser que cet invariant qui avait subsisté à travers la fuite des siècles répondait vraiment à quelque nécessité éternelle. » Tel était le souci primordial de Thibon : par-delà le temps, retrouver, plus que le passé, l’éternel : « tout ce qui n’est pas de l’éternité retrouvée est du temps perdu. »

Il s’agissait donc de restaurer, non pas le passé en tant que tel, mais l’acquis de l’expérience humaine, à commencer par la relation organique entre les générations, entre l’homme et Dieu. Contre l’idéal des « Lumières » de la Révolution posant un individu émancipé et abstrait qui « erre à la surface de lui-même », le philosophe de Ce que Dieu a uni (1 945), La crise moderne de l’amour (1 953), Notre regard qui manque à la lumière (1 955) voulait rendre à l’homme ses attaches et ses limites, gardiennes de la force et de l’unité des individus comme des sociétés. «  Nous vivons à l’intérieur de nos limites comme le sang dans l’artère ; la paroi de l’artère n’est pas une prison pour le sang, et ce n’est pas « délivrer »  le sang que d’ouvrir l’artère. »

Ce souci qu’avait Thibon de  sauver l’harmonie dans l’homme et entre les hommes ne pouvait que le conduire à rejoindre Maurras et sa conception de la monarchie comme la forme de gouvernement la plus naturelle, la plus « incarnée » (le roi est un être de chair), la plus capable d’allier l’unité et la diversité dans une synthèse supérieure.

Quête existentielle

Dans les années 1 941-1 942, se situe la rencontre du philosophe ardéchois avec Simone Weil, la jeune agrégée de philosophie (qu’il ne faut pas confondre avec l’abominable avorteuse dont le nom s’écrit avec un simple V.) La Juive d’extrême-gauche, mais à la foi débordante, désirait travailler aux champs comme fille de ferme et demeura à Saint-Marcel-d’Ardèche quelques mois, avant de s’embarquer pour New-York, puis pour Londres où elle allait mourir en 1 943. Elle fit progresser Thibon dans sa quête existentielle ; ils causèrent chaque soir interminablement ; ils échangèrent des livres, notamment de Platon et de saint Jean de la Croix. Thibon passa d’un christianisme docile à l’invasion des ténèbres. C’est ce doute en Dieu et non de Dieu qu’il conçut dès lors comme une expérience spirituelle, une épreuve que Dieu réserve à quelques-uns qui dépassent le doute par la foi.

L’« agonie » de Dieu

Par plusieurs de ses ouvrages, ce chercheur d’absolu s’affirma comme l’un des plus grands penseurs spirituels du XXe siècle : Vous serez comme des dieux (1 959), L’ignorance étoilée (1 974), Le voile et le masque (1 985), L’illusion féconde (1 995). Il était comme crucifié par le grand drame du monde moderne : « En désirant de toutes ses forces la puissance matérielle, l’homme l’a obtenue, mais, en même temps , laissant la place à l’homme qui se fait son rival, Dieu semble s’être retiré du monde.» Et dans le noir de cette « agonie de Dieu » qui touche aujourd’hui même l’Église du Christ, Thibon se souvenait de ses conversations avec Simone Weil : « On doit tout retrouver par soi-même, douloureusement, sans être porté par le social ». Ce peut être un bien en ce sens que les certitudes trop tranquilles rendent parfois le chrétien imperméable à l’action de la grâce et au sens du mystère (le « trop défini » peut masquer « l’infini »), mais ce peut-être aussi une expérience périlleuse. Ne pouvant plus se contenter du fiat paysan, Thibon se retrouvait seul face à face avec Dieu « chaque jour de moins en moins étranger et de plus en plus inconnu », souhaitant mourir « dans la nuit » par respect de la lumière inconnue qu’il n’entrevoyait plus « que sous la forme de l’éblouissement ».

Le « Ciel sans promesse » ?

Plus préoccupé de contemplation que des conditions dogmatiques du salut, Thibon était ici à la limite de l’orthodoxie catholique, mais,  rétorquait-il, le Christ n’a-t-il pas ressenti, au moment de son agonie au Mont des Oliviers, cet effroi devant « le Ciel sans promesse ». Et Thibon de surmonter son désespoir : « Il faut bien que cet Être soit nécessaire pour qu’on éprouve le besoin d’en douter ou de Le nier. »

Plongé dans le tragique de ce temps, Gustave Thibon ne laisse pas l’image d’un maître. Il n’aurait d’ailleurs nullement apprécié qu’on lui donnât un tel titre. Mais, en tant que philosophe, que moraliste et plus encore que poète, il ne cessera d’aider les générations futures qui le connaîtront à vaincre toute forme de matérialisme, à scruter le mystère au-delà des apparences, à surmonter tout désarroi dans un monde effondré, et surtout, à placer l’espérance non point dans l’homme – que les philosophes modernes rendent fou -, mais dans les lois immuables de la Création qui, seules, nous garderont de sombrer dans le néant.

Michel FROMENTOUX,  membre du Comité Directeur de l’Action Française, journal RIVAROL du 3 février 2021. 

 

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Pourquoi l’Action Française doit rester aconfessionnelle

Pourquoi l’Action Française doit rester aconfessionnelle

Dès les débuts, notre mouvement s’est fondé sur la nécessité d’une alliance entre libres-penseurs, agnostiques ou athées, persuadés de l’enjeu du combat, et catholiques français pénétrés de leur tradition, et déterminés à la sauver.

La déclaration d’adhésion à l’Action Française est rédigée ainsi : 

« Français de naissance et de cœur, de raison et de volonté, je remplirai tous les devoirs d’un patriote conscient. Je m’engage à combattre tout régime républicain. La république en France est le règne de l’étranger. L’esprit républicain désorganise la Défense nationale et favorise les influences hostiles au catholicisme traditionnel. Il faut rendre à la France un Régime qui soit français. »

Nulle part il n’est précisé que l’AF obéit à la hiérarchie catholique ni que la foi catholique est un préalable à l’engagement dans le mouvement.

Pourquoi Maurras a- t-il choisi de rompre avec le « principe d’inséparatisme » qui imprégnait le légitimisme avant 1890 ? L’inséparatisme était animé par l’idée qu’il y avait une solidarité totale entre l’Eglise et le royalisme et que l’on ne pouvait défendre l’un sans l’autre et réciproquement. Cette vision des choses, à vrai dire, était compatible avec le gallicanisme traditionnel, mais nullement avec l’ultramontanisme qui dominait la pensée contre-révolutionnaire au XIX° siècle.

En effet, pour les ultramontains, la royauté française, et la France elle-même, étaient du domaine du contingent alors que Rome s’affirmait comme la voix de l’Absolu ; de sorte que lorsque Léon XIII, poussé par le Cardinal Rampolla, décida de rallier l’Église à la république, il s’attendait à être obéi sans exception ni murmure. D’ailleurs, après l’échec de cette politique, le pape attribua son fiasco, non au caractère idéologique de la république française, mais à l’indiscipline des catholiques. Maurras, qui resta toujours meurtri par le Ralliement, constata que l’inséparatisme était logiquement impraticable. Cependant, d’autres raisons motivaient son attitude.

N’oublions pas qu’à la fin du XIX° siècle 90% de la population pratiquait la religion catholique. Malgré cette majorité écrasante, la monarchie chrétienne n’avait pu être rétablie, car une grande part des élites s’étaient rangés du côté du libéralisme ou de l’athéisme. Maurras va adopter à leur égard une attitude nouvelle qui consiste à leur montrer combien la tradition ne s’oppose pas au progrès des connaissances. Et il s’appuie sur une partie de la pensée d’Auguste Comte, laissant dans l’ombre le reste.

Pour l’AF de l’orée du siècle, on peut être fidèle à n’importe quelle religion ou irréligion, juif, protestant, païen, athée ou agnostique, à la condition d’accepter le salut public national et reconnaître au catholicisme la place de religion nationale. Non pas la religion de la majorité des français, comme la Charte révisée de 1830, mais religion de la France. Au moment de la mise à l’index de l’ensemble des publications et du mouvement, c’est ce qui lui fut reproché.

Certes, il y avait bien des manœuvres politiciennes dans cette condamnation, mais, plus profondément, Pie XI n’admettait pas que l’on pût être favorable à l’Eglise sans se soumettre à ses dogmes et à ses injonctions. Dans une lettre à Wladimir d’Ormesson de 1927, le Maréchal Lyautey, qui se tenait pourtant à distance des maurrassiens, s’indigne de « l’anathème jeté par Etienne Borne, abstraction faite de l’A.F., sur tous les  “non-croyants” qui aiment l’Eglise, sont convaincus de son indispensabilité sociale et nationale et sont résolus à marcher pour elle, pour ses œuvres, pour son soutien, sans en être intégralement. C’est le thème du journal la Croix. C’est l’essence même des paroles du Vatican.                                                                                                          Jamais l’AF ne céda sur ce point, malgré la détresse de ceux qui, comme Robert d’Harcourt, lui écrivirent avec leur démission : « Quels que soient les déchirements, un catholique ne peut sortir de l’obéissance, sans risquer de voir s’éteindre en lui la lumière qui est le guide de sa vie. »       

Cette fermeté de Maurras se justifiait aussi, quoiqu’il ait eu la brève, mais forte, satisfaction d’être soutenu par Pie X, par l’appréhension de voir le catholicisme se tourner vers une conciliation avec la démocratie idéologique. Cette tendance n’est pas nouvelle et se retrouve dans toute l’histoire de l’Eglise, comme un courant minoritaire, mais constant, rejeté par le Magistère, mais toujours renaissant. Ce mouvement resurgit au XIX° siècle avec Lamennais, lui aussi condamné, mais continue de manière souterraine son travail de taupe.

En témoigne l’acceptation par Pie XII de la « Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ». Or, on constate qu’après de nombreuses conquêtes, comme par exemple le rejet quasi-théologique de la peine de mort, cette vision politique a pris possession du Pontificat avec François, de manière, sinon définitive, au moins très claire. Suspicion répétée à l’égard de l’Europe, injonction répétée d’accueillir inconditionnellement les étrangers, mépris de la souveraineté et de la frontière, partialité tiers-mondiste, déjà présents sous Paul VI, ont pris aujourd’hui la forme d’une admonestation permanente, dans laquelle les évêques de France ne sont pas de reste, à quelques exceptions près. Elle est bien loin, l’Eglise de l’Ordre, et cette papauté qui, selon Maurras, régissait « par-delà tous les espaces », la « seule internationale possible. »

Cela dit, nous aurions beaucoup de mal à tenter de prouver que le pape n’est pas le pape, ni qu’il n’est plus catholique. En revanche nous pouvons, sans faire de concession mais courtoisement, montrer combien les propos de François sont contraires à l’enseignement de l’expérience dans les sciences sociales, selon les leçons de notre école de pensée, et ne peuvent conduire qu’à de catastrophiques issues.

Dans le même ordre d’idées, qu’il nous soit permis, à titre personnel, de formuler quelque critique sur la façon dont les organisations catholiques, même proches de nos idées, ont cru devoir mener le combat contre les « réformes sociétales » en cours. Comme leurs dirigeants savent que les interdits issus du dogme ne suscitent pas l’approbation des Français, ils jugent préférable de ne pas les mentionner, mais enveloppent l’ensemble des techniques et législations discutées dans un discours réprobateur au vocabulaire « humaniste » imprécis, où les mots honnis d’eugénisme, de commercialisation du corps humain, et de transhumanisme sont fustigés sans faire le détail des objets désignés.                                                                                                                                                 Alors qu’une critique sociologique effectuée dans la ligne de Le Play, et attachée seulement à l’utilité sociale, permettrait de distinguer ce qui est intolérable et pourquoi, ce qui reste dans les limites du privé et ce qui peut être utile et à quelle condition. Nous serions sans doute mieux écoutés.

Pierre de Meuse 

Article issu du site : Je suis Français 

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Éloge funèbre de Marielle Pujo

Éloge funèbre de Marielle Pujo

Marie-Gabrielle Pujo, fille de Maurice Pujo, membre du Comité Directeur de l’AF nous a quitté le 22 décembre. Voici l’éloge funèbre prononcé par Clément Gautier lors de la messe de funérailles célébrée le 4 Janvier à Ferrières-en-Gâtinais, par l’abbé Vella, aumônier de l’AF. 

 

Monsieur l’abbé, bien chers amis,

Marie-Gabrielle Pujo nous a quittés le 22 décembre dans sa 89ème année, après avoir consacré une grande partie de sa vie à l’Action Française. Marielle n’était pas une femme politique, mieux que cela, elle a transmis les idées du salut national, les idées de l’espérance politique. Elle a, à la suite de son père Maurice Pujo et de son frère Pierre Pujo, sacrifié sa carrière pour le royaume des Lys et pour ce trésor de l’intelligence politique qu’est l’Action Française. Marielle fut une militante énergique et dès son plus jeune âge, elle participa à l’organisation des camps Maxime Real del Sarte et des grandes manifestations de l’AF. Son instinct lui permettait de déterminer le caractère des gens qu’elle observait scrupuleusement en analysant leurs faits et gestes, mais aussi leurs expressions. Elle avait également le don de découvrir les grands traits de la personnalité, à partir de l’écriture. Elle mettait ainsi ce don et cette expérience au service de son frère Pierre, en le mettant en garde contre certaines personnes. 

Comme Pierre, Marielle s’est employée à travailler pour le bien commun : l’expression « Préserver l’héritage en l’absence de l’Héritier » prend alors tout son sens. 

Marie-Gabrielle Pujo et son frère Pierre

Après le décès de Pierre Pujo, elle dépassa son caractère discret et effacé pour continuer cette œuvre. Elle maintint le journal de l’Action Française non sans difficultés, et mena une lutte acharnée contre ceux qui infiltrèrent l’Action Française. Elle fut présidente de la société éditrice de l’Action française 2000 (PRIEP) de 2007 à 2018. 

Membre du Comité Directeur, elle assista avec une grande tristesse à une dédiabolisation du mouvement impulsée par certains, les principes étaient oubliés au nom de l’efficacité. Marielle soutint donc, avec l’ensemble du Comité Directeur, l’association “Amitié et Action Française” et participa à nombre de ses manifestations. Nous avions eu la joie de l’accueillir le 29 février 2019 lors du grand banquet organisé pour fêter les 120 ans de l’Enquête sur la Monarchie, elle avait expliqué s’y être rendue avec avec la cane de son père, Maurice Pujo, qui avait servi à administrer quelques corrections à de célèbres républicains célèbres du siècle dernier !

Dans un texte de conférence qu’il avait intitulé « Être d’Action Française », Pierre Pujo citait dès la première ligne une formule de Charles Maurras et à laquelle, manifestement, il identifiait sa démarche d’héritier : « Je me vois accusé de mettre en avant la politique mais dans cette passion de la politique, il y a, tout en haut, la passion de la vérité. La vérité ! Quelque chose de sacré dont ma vie a été fascinée, tout entière ». Cette passion pour la vérité politique avait poussé Marielle à réagir avec force alors qu’on nous accusait d’être un repère de nostalgiques de l’Algérie Française et de pétainistes. À un ancien rédacteur du journal qui avait évoqué “Pétain”, Marielle avait répondu: « Monsieur, à l’AF, on l’appelle le Maréchal » !

Marielle comme Pierre se sont souvenus toute leur vie de la manière dont Maurice Pujo avait rejeté le libéralisme qu’il avait fait sien pourtant au cours de sa propre jeunesse.

« Le libéral, écrivait Pierre Pujo, capitule sur toutes les valeurs tout en se présentant comme partisan de la famille, de la patrie, et de la religion ». 

La grandeur de Marielle, ne l’oublions pas, c’est qu’elle n’a jamais voulu être une libérale. Et que libérale, elle l’a été en un autre sens, dans sa générosité, sa passion pour nos idées, dans sa volonté de montrer aux Français la voie royale du salut national.

Marielle était la filleule de Charles Maurras et elle évoquait avec passion ses souvenirs d’enfance : les visites à Maurras, Bainville, Daudet… le bouquet de fleurs qu’elle avait offert au Maréchal, la visite en famille à la sœur de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au Carmel de Lisieux. Elle a comme son frère Pierre, baigné dans cette grande famille de l’Action Française depuis sa plus tendre enfance et fut donc un témoin des multiples crises que connut notre mouvement. Ainsi, malgré les difficultés rencontrées, les trahisons de beaucoup, les erreurs parfois, et les brimades dont elle a fait l’objet, Marielle gardait, avec son caractère bien trempé, des principes clairs et une grande espérance.

L’exemple de Marielle nous enseigne la piété filiale : elle se savait « débitrice insolvable », elle avait à l’esprit que le patrimoine reçu était là pour être transmis et non uniquement pour qu’on en jouisse de manière égoïste.

Ses actions pour les fêtes historiques de Ferrières témoignent de cette piété à l’égard de la Patrie charnelle. Aussi, c’est parce que cette impiété à l’égard de la Patrie n’a jamais été aussi grande que nous continuons à honorer ceux qui ont fait la France : nos rois certes, mais aussi l’immense cortège de tous nos saints, de nos héros et de nos soldats, célèbres ou silencieux, qui ont foulé le sol de notre beau pays et contribué à transmettre et à enrichir le patrimoine de notre civilisation.

A la suite de Marielle et de tous ceux qui ont marché avant nous sur le sillon du nationalisme intégral, continuons fidèlement le combat, montrons aux Français la voie royale du salut national et sachons courageusement garder l’Espérance. Demeurons fermes. 

 Marielle a rejoint son frère et son père et nous pouvons dire des Pujo, qu’ils furent de grands serviteurs de la France. « Défendre l’Héritage en l’absence de l’Héritier » dans le souci de l’intérêt national, telle fut la passion des Pujo et telle est aussi notre devoir de militants. Aujourd’hui, avec sa famille et ses amis nous pleurons Marielle. Mais comme le dit l’apôtre Saint-Paul « ne soyons pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance ». Car maintenant nous espérons, nous croyons, que Marielle peut dire, comme Paul l’écrivait il y a près de vingt siècles en attendant la mort du fond de sa prison : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi ».

« Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine entre les bras de l’Espérance et de l’Amour. »

 

Adieu Marielle, merci, à bas la Gueuse et Vive le Roi !

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