DE TOUTES les pathologies dont souffre notre société, le relativisme “philosophique” est certainement l’une des plus dangereuses, son caractère diffus, sa fausse logique empreinte de scientificité et son adéquation trop parfaite avec la notion de tolérance (suprême valeur du monde post-moderne) lui procurant d’inestimables avantages sur les courants philosophiques concurrents.

Si, depuis Montaigne, le relativisme a attiré de nombreux penseurs refusant l’idée selon laquelle une civilisation ou une religion ne peuvent se déclarer supérieures à toutes les autres, il est indéniable que depuis une soixantaine d’années le paradigme relativiste a étendu son empire sur toutes les nations occidentales, abrutissant dramatiquement leurs populations désormais incapables de sauvegarder les bases mêmes et les principes primordiaux de la pensée et de la culture européennes.
Après avoir rejeté radicalement – et honteusement – sa fierté raciale, l’homme blanc est devenu progressivement orphelin de toute transcendance, abandonnant au nom de la tolérance obligatoire sa culture, ses traditions, ses mœurs, ses fidélités, sa Patrie, sa famille, Dieu et la Vérité.
Loin d’avoir permis la sauvegarde de la diversité culturelle, le relativisme a engendré la haine de soi (ou, par voie de conséquence, la xénophilie) et l’essor de l’individualisme radical qui ont laminé à une vitesse extraordinaire des nations millénaires.

Aujourd’hui le relativisme apparaît cependant davantage comme la conséquence d’une déréliction généralisée, comme un discours servant à légitimer les faiblesses d’un peuple, hier glorieux et rayonnant, et aspirant désormais à une totale retraite. 

D’aucuns pensent toutefois que le relativisme peut devenir ce fameux grain de sable qui pourrait enrayer la machine à détruire les peuples et les nations. En intervenant dans les débats organisés par le système sur les thèmes récurrents de la tolérance, de la diversité, du multiculturalisme et du racisme, ces promoteurs opportunistes ont eu l’idée d’examiner le sort du peuple européen à la lumière du dogme relativiste, en le mettant ainsi sur le même plan que la population immigrée.
D’autres, de formation et de convictions carrément culturalistes, anthropologues pour la plupart d’entre eux, essaient de démontrer le sociocentrisme occidental et l’inanité de la culture progressiste, de sa vocation universaliste et humaniste, par le biais de descriptions minutieuses et d’exemples volontairement scandaleux.

Les partisans maximalistes de cette théorie pour qui « tout est d’origine culturel » mais aussi pour qui rien ne peut être considéré comme absurde, barbare ou révoltant, réhabilitent en définitive des pratiques aussi hétéroclites que “scandaleuses” comme l’excision, la lapidation, la mutilation, la peine de mort, mais aussi l’ultranationalisme, le racisme, les guerres ethniques découlant logiquement de l’existence des cultures, non négociables par essence.

C’est assurément ce “genre” de relativisme que Raymond Boudon, considéré comme le maître incontesté de la sociologie dite compréhensive (Boudon est aux libéraux ce que feu Bourdieu est aux gauchistes), attaque sans relâche depuis le début de sa carrière. Il n’est pas question pour Boudon de mettre dans le même sac le bon et le mauvais relativisme. Ce grand libéral, amoureux de Tocqueville, Montesquieu, Simmel, qui n’hésite pas à bricoler et à triturer l’œuvre de Durkheim et de Max Weber afin de légitimer ses propres théories et de les rendre compatibles avec celles élaborées par les classiques, voit dans la tolérance comme dans l’antiracisme les fruits d’un bon relativisme. Selon lui, le mauvais relativisme serait, semble-t-il, celui qui ne considère pas comme irréversibles les “progrès” engendrés par la pensée libérale, qu’ils soient politiques, économiques, philosophiques ou “moraux”. Aussi, s’il n’est pas possible de qualifier la thèse de Boudon de relativiste, c’est en premier lieu parce que l’auteur considère l’histoire comme linéaire, constamment tendue vers le Progrès.

La démocratie, y’ a pas mieux et tout le monde le sait. La division du pouvoir, c’est très bien car ça garantit la liberté et la démocratie ; tout le monde (ou presque) le sait. La peine de mort, c’est barbare et inutile ; elle est ainsi condamnée à disparaître de la surface de notre globe. Le droit d’ingérence serait aussi irréversible car les individus, « spectateurs impartiaux » en puissance, ne supportent désormais plus que « les droits de l’homme soient bafoués à travers le monde … »

Autant d’exemples illustrant selon notre auteur l’ineptie relativiste. Néanmoins Boudon prétend démontrer tout cela grâce à sa théorie de la rationalité axiologique. Nous ne nions pas l’idée selon laquelle les valeurs passeraient dans le sas de la logique et de la raison avant d’être “homologuées” par les hommes, mais Boudon n’utilise pas véritablement ce précieux procédé méthodologique dans ses démonstrations, ou alors de façon exceptionnelle. Au contraire, il inverse à des moments cruciaux de son argumentation la logique inhérente à son rationalisme.
Ainsi, à la page 41 de son ouvrage (1), on apprend avec étonnement que, selon lui, l’individu « ne perçoit pas ses raisons comme subjectives, mais comme transsubjectives », c’est-à-dire qu’il subodore que les autres pensent d’une façon et non d’une autre et qu’il serait prudent d’adopter ces raisons …

Bonnes en apparence – ou démocratiquement et médiatiquement bonnes mais pas nécessairement d’une stricte rationalité.

En fait, nous pouvons dire que Boudon se cache derrière la raison (en prétendant d’ailleurs en être le chantre) pour justifier l’ordre mondial tel qu’il est actuellement.

Le principal défaut de sa pensée est qu’elle ne fait pas la distinction entre la morale (celle du conformisme) et le politique dans lequel il ne voit aucune essence. Aussi ne possède-t-il pas les armes pour appréhender la puissance du politique et son machiavélisme consubstantiel. Ce super-professeur semble n’avoir lu ni Julien Freund, ni Carl Schmitt (qu’il orthographie Schmidt sic !) et croit visiblement que la propagande reste l’apanage des dictatures historiques, en considérant certainement notre belle démocratie comme une blanche colombe sans malignité. Boudon n’est certes pas un relativiste mais un idolâtre du totalitarisme libéral. Ce n’est pas mieux.

(1) R. Boudon, Le relativisme, PUF (Que sais-je ?), 2008, 128 pages, 8,5 €.

François-Xavier ROCHETTE.

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