Malgré les apparences, la compétence a un rapport avec la politique. La République a proclamé son amour pour elle. Elle en a fait un moyen de sélectionner ses élites. L’une des revendications qui ont mené à la Révolution française était de prendre en considération le mérite plus que la seule naissance dans l’attribution des postes. Ce n’était pas illégitime : le bon sens et la mobilité de l’ancienne monarchie (Suger était fils de serf) avaient parfois cédé devant les scléroses de l’ancien régime finissant. Mais le progrès aussi a ses scléroses, et l’on a fini, à travers la méritocratie, par ne plus évaluer les hommes qu’en fonction de leurs diplômes et d’une forme restreinte du mérite, intellectuelle et technique.

Ainsi s’ouvrit l’ère des technocrates, énarques, polytechniciens et autres, qui fut celle de la Compétence : entendez par là la faculté de reproduire un certain discours au moyen d’un langage et de références communs, de se plier fidèlement à certaines habitudes de pensée, dans le cadre d’un système de valeurs donné.

La hiérarchie des valeurs est la clef de la notion de compétence politique. Dans la cinquième république, il est reconnu par exemple qu’on ne peut être apte à gouverner et compétent si l’on ne connaît pas les ponts-aux-ânes de l’Économie, du budget et de la monnaie. Mais on peut très bien être tenu pour apte à gouverner et compétent quand on n’entend rien à l’histoire ni à l’identité du peuple français. Telle la clef qui ouvre le concept de compétence et son utilisation dans le combat politique. Lors du récent débat Zemmour / Le Maire, Bruno a gagné par exemple, il a été déclaré plus compétent face à son affectif adversaire. Lors du débat présidentiel de 2017, Emmanuel fut dit compétent et Marine nulle. Lors de la crise des gilets jaunes, les demandes de ceux-ci ont été décrétées incohérentes, hétéroclites et somme toute incompétentes.

Cela nous amène à refuser le primat de la compétence en politique.

Il ne s’agit pas bien sûr de recruter ignares et empotés, mais de constater que, sous couleur de choisir objectivement en fonction de la compétence, le système opère en fait un choix moral, idéologique et politique.

Nous ne devons pas nous y soumettre. Quand certains, constatant avec justesse que Marine fut mauvaise contre Macron, fondent sur son incompétence la nécessité de se débarrasser d’elle, puis leur Zemmourolâtrie, ils commettent une double erreur. Marine mérite une critique, mais pas selon ce critère. Et son insuffisance ne suffit pas à rendre la candidature de Zemmour bonne. De même, la médiocrité de Zemmour face à Le Maire ne suffit-elle pas à faire de sa candidature une catastrophe. Nous devons juger gens et choses sur nos propres critères, non sur ceux de l’ennemi.

Le mot compétent fait partie du vocabulaire intimidant que la caste des dirigeants oppose à la partie rétive de la population pour lui ôter la parole. C’est une violence et une confusion, qu’il est facile de distinguer dans le cas des gilets jaunes. Quand ils disaient « Vox populi, vox Dei », les anciens Romains ne s’y laissaient pas prendre : ils savaient le peuple incompétent dans le détail des décisions propres à sauver la patrie, mais sacré, donc sacrément compétent, infaillible, dans son cri exigeant le salut de la patrie. Les gilets jaunes en leur début furent la Vox Populi. De même les Français qui tendent leur espoir vers Zemmour ou Le Pen sont-ils la Vox Populi.

Nous devons donc rétablir notre échelle de valeurs, partant nos critères de compétence : dans l’incendie, n’en déplaise à Néron, la compétence du pompier l’emporte sur celle du poète. Quand il y va de la survie de la France, la compétence du patriote prime celle du grand commis. Du temps que la Cinquième ressemblait à une monarchie élective, De Gaulle ou Pompidou, malgré leurs défauts et leurs crimes, ne se laissaient pas abuser par les prestiges des compétences techniques : ils exigeaient, un peu à la manière de Louis XIV, que les « hommes spéciaux » (ainsi parlait le grand roi des jardiniers et des contrôleurs des finances) leur apportent leurs conseils en une page claire compréhensible par tout homme de sens.

Pour rétablir la France, le vote reste aujourd’hui un moyen. Celui qui veut avoir nos voix devra subordonner le détail des programmes au salut du pays ; dans la campagne, cela signifie refuser les controverses lilliputiennes pour s’en tenir à l’essentiel. Il faut pour cela l’autorité, la rectitude doctrinale, le courage dans l’esprit et la hauteur nécessaire. Le Pen père en eut quelque chose. Ses successeurs ne convainquent pas pour l’instant. La monarchie transmettait ces choses par l’hérédité et la tradition qui l’entourait. En attendant son retour, qu’il nous faut préparer, ceux qui entendent œuvrer pour la France doivent jouir de ces qualités exceptionnelles. Des compétences, on en trouve partout, mais cela, ça ne se trouve pas dans le pas d’un cheval.

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