Michel Fromentoux, membre du Comité directeur de l’Action Française continue son histoire de la formation de la France par les premiers Capétiens.

Henri 1er, fils de Robert lI le Pieux, devint donc seul roi de France en 1031, à l’âge de vingt-trois ans. Les premières années de son règne furent troublées par les intrigues raffinées de Constance, devenue reine-mère. Celle-ci, après avoir tant travaillé à dresser ses fils contre leur père allait désormais s’employer à dresser les cadets contre Henri. Elle avait la discorde dans le sang.

Cette chipie,  qui allait quand même, en mourant en 1033, faire construire un palais et un oratoire à Étampes et faire édifier un monastère de chanoines à Poissy, incita son plus jeune fils, Robert, à se révolter. Henri inaugura ainsi son  règne en défendant contre sa propre mère et ses propres frères le principe capétien de succession.

En deux ans, s’organisa une véritable conjuration de féodaux soutenant les droits de Robert (!) et conduits par Eudes  II, comte de Blois. Tout le nord du domaine royal fut pris, de même que la ville de Sens, l’Orléanais fut incendié. L’habileté d’Henri 1er consista à faire jouer le droit féodal pour détacher de la conjuration Robert le Magnifique (qu’on appelait aussi le Diable, mais c’est souvent la même chose…), duc de Normandie. Allié à celui-ci à partir de 1034, il put poursuivre sa guerre contre le comte de Blois et s’empara de Gournay-sur-Marne. La révolte était brisée, mais Robert de Normandie, qui avait le sens des affaires, se fit payer en demandant à Henri 1er le Vexin français. Finalement, pour tenir son frère tranquille, Henri 1er lui céda le duché de Bourgogne (de cette Maison de Bourgogne, allait sortir un jour la Maison royale de Portugal !).

 

La Trêve de Dieu

Henri 1er tenait désormais parfaitement son rôle d’arbitre souverain. Il se faisait respecter de ses vassaux, non pas tellement en cherchant à les vaincre militairement, mais en  se les attachant et en faisant ressortir que, selon le droit féodal, il y avait autant de grandeur à obéir qu’à commander ; comment d’ailleurs se  faire respecter dans les fiefs si l’on ne donnait pas soi-même l’exemple de l’obéissance au roi qui, lui-même, n’obéissait qu’à Dieu seul ?

C’est ainsi qu’il parvint à se maintenir au-dessus de la mêlée à cette époque où se consolidaient les grandes dynasties féodales : Maisons de Flandre, de Bourgogne, de Normandie, d’Aquitaine notamment… Sous l’influence de l’Église, était en train de naître la chevalerie, que le duc de Lévis-Mirepoix définissait comme « une invention géniale du Moyen-Âge qui consistait à opposer une violence éclairée et généreuse à une violence aveugle. Elle donna lieu à une magnifique floraison de poèmes qui firent briller sur toutes les chutes humaines l’appel de la spiritualité ». Les soldats chrétiens se trouvaient ainsi rassemblés dans une vaste fraternité et les prouesses n’avaient de sens que dans le service qu’elles rendaient aux plus humbles. La Trêve de Dieu, qui suspendait les combats du mercredi soir au lundi matin, jours évoquant la Cène, la Passion et la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ, contribua largement à mieux orienter les volontés de puissance. Il faudrait encore plus d’un siècle pour que ces principes entrassent réellement dans les faits. Mais la voie était tracée, avec l’appui total du roi de France Henri 1er.

On se prend à rêver aujourd’hui que certains jours soient consacrés à une Trêve de Dieu qui puisse interrompre le massacre industriel des nouveau-nés par avortement. Mais Emmanuel Macron n’est, hélas, pas de la trempe d’Henri 1er… Lui, se plaît dans le crime !

Le prestige d’Henri était tel que Robert le Diable, dit le Magnifique, duc de Normandie, partant pour la Terre sainte afin d’expier ses graves péchés, laissa sous sa protection Guillaume, un jeune bâtard qu’il avait eu d’Arlette, fille d’un tanneur de Falaise. Or Robert mourut sur le chemin du retour et, comme il fallait s’y attendre, le jeune Guillaume fut fortement contesté par les barons normands. Fidèle à sa parole, Henri 1er se porta à son secours et manqua se faire tuer en combattant au Val-des-Dunes en 1047, les seigneurs du Bessin et du Cotentin.

Puis ce gringalet de Guillaume grandit et s’apprêtait à donner bien du fil à retordre aux Capétiens… Déjà, il lorgnait vers l’Angleterre où la monarchie anglo-saxonne était en décadence, il encourageait même des nobles normands à s’y installer – il faut dire que ces descendants des Vikings, ces géants aux cheveux blonds et aux yeux bleus, avaient le goût de l’aventure ; certains n’étaient-ils pas déjà partis à la conquête du royaume de Sicile ?

Pour le moment, Guillaume tentait d’arracher le Maine au comte d’Anjou, vassal direct du roi de France. Ce fut la guerre, au désavantage d’Henri 1er lequel fut battu au gué de Varaville en 1 057. Mais, magnanime, Guillaume ne poussa pas trop loin son avantage : il avait tout intérêt à respecter le roi de France, son suzerain, lui dont les propres vassaux étaient plutôt turbulents…

 

Anne de Kiev

Côté cœur, Henri 1er  fut beaucoup plus paisible que son pieux père. Il avait épousé en premières noces Mathilde, nièce de l’empereur Henri II, mais elle mourut en 1 044 sans lui avoir donné d’enfant. Trouver une autre femme n’était pas simple car toutes les princesses d’Occident étaient ses cousines à des degrés divers ! Et il ne tenait pas à revivre les ennuis de son père avec le pape et les évêques. Le mieux serait alors d’envoyer chercher une femme à l’autre bout du monde : la Russie était alors un pays brillant, récemment converti au christianisme et dont on disait le plus grand bien.

Henri Ier chargea une ambassade, conduite par les évêques Gauthier de Meaux et Roger de Châlons, de se rendre à Kiev pour demander, de la part du roi de France, la main de sa deuxième fille Anne au grand-duc Iaroslav, prince de Kiev. La fiancée arriva à Montreuil- sur-Mer après un long et somptueux voyage de plusieurs mois. Henri la reçut à Senlis. Elle avait vingt ans, lui, trente-six.

On raconte qu’au moment où Anne descendit de son attelage, le roi, immédiatement amoureux du charme slave, se précipita sur elle pour l’embrasser avec ferveur, incapable de se présenter et de maîtriser son enthousiasme. « Je suppose que c’est vous qui êtes le roi, n’est-ce pas ? », s’enquit la belle, confuse et rougissante…

Henri se rendit en personne à Reims pour accueillir sa fiancée aux portes de la cité du sacre. Le mariage eut lieu à Reims le 19 mai 1051, immédiatement suivi du couronnement et du sacre, présidé par l’archevêque Guy de Châtillon.

Anne fut la toute première reine de France à recevoir elle-même le sacre royal qui n’était réservé jusqu’alors qu’au roi seul. Aucune difficulté d’ordre confessionnel ne sembla avoir été soulevée alors que les relations entre Rome et Constantinople s’étaient dégradées depuis longtemps. Ce ne fut que trois ans après leur mariage, en 1054, que la séparation des Églises d’Orient et d’Occident serait consommée, avec, à la clé, anathèmes et excommunications réciproques.  Anne donna à Henri Ier trois fils, l’aîné fut appelé Philippe en souvenir des rois de Macédoine desquels prétendait descendre la Maison de Kiev.

Sur le plan européen, Henri essaya, semble-t-il, de prendre la Lorraine, ce qui le brouilla avec l’empereur germanique. Il comprit vite que c’était un peu trop tôt pour attaquer de ce côté-là.

Pressé de rétablir les finances royales, il se laissa aller à vendre généreusement des évêchés, ce qui ne fut pas du goût du pape Léon IX. La question n’allait être réglée que pendant les règnes suivants.

Henri 1er sut nouer une alliance fort intéressante avec la Maison de Flandre, en mariant sa sœur Adélaïde avec le comte Baudoin V, grand seigneur, bienfaiteur de la ville de Lille, beau-père de Guillaume de Normandie, puisque sa fille, la célèbre reine Mathilde, avait épousé en 1 056 l’ambitieux Normand.

Fidèle à la tradition déjà bien ancrée, Henri avait fait sans difficultés élire et sacrer son fils aîné Philippe à l’âge de six ans, lequel prononça le serment du sacre de sa jolie petite voix encore enfantine en 1 059. Il était temps car Henri 1er mourut l’année suivante à cinquante-deux ans ! Pour la première fois, le royaume capétien allait se trouver entre les mains d’un enfant mineur. Son oncle, le comte de Flandre Beaudoin V, allait exercer la régence.

Le royaume était de taille à affronter l’épreuve ; les féodaux ne contestaient pas les droits du petit Philippe : désormais la dynastie était bien consolidée. Je donne la plume au duc de Lévis-Mirepoix pour conclure : chez Henri 1er « la volonté de triompher de tant d’embûches, de dominer les troubles où il a failli disparaître n’était pas menée par une ambition stérile du pouvoir, mais par le souci de répondre au serment du sacre qui est de protéger l’Église et les humbles et de faire avant tout respecter la justice »

Tel fut sans doute ce que pensèrent les Français tandis que la dépouille mortelle d’Henri rejoignait celles d’Hugues Capet et de Robert II dans la basilique de Saint-Denis, désormais nécropole royale des rois de France.

 

Une reine-mère un peu volage

Des nouvelles de l’étrange Anne de Kiev pour finir. Depuis qu’elle était veuve, elle vivait à Senlis où il lui était arrivé une singulière aventure. Un beau seigneur, Raoul de Crépy-en-Valois, propriétaire d’immenses terres entre Amiens et Mantes, se mit à rôder autour d’elle. Il la connaissait bien puisqu’il avait fait partie de la troupe de chevaliers chargée par Henri 1er en 1044 d’aller l’accueillir à son arrivée à Montreuil-sur-Mer et de l’escorter jusqu’à Senlis. Depuis lors, il n’avait cessé de rêver d’elle, bien qu’il fût marié, fût devenu veuf, puis fût remarié, semble-t-il sans amour… Alors, ce qui risquait d’arriver n’allait pas tarder à se produire.

Un beau jour, Raoul enleva tout bonnement la reine-mère dans la forêt de Senlis et trouva même un prêtre pour les marier ! Énorme scandale : l’Église lança les foudres de l’excommunication ; Raoul refusait de se soumettre, mais les choses se calmèrent du fait de la disparition de son épouse légitime et mal aimée.

Raoul et Anne vécurent heureux quelques années, puis Raoul mourut en 1071 et les historiens perdirent toute trace de la reine Anne : eut-elle d’autres aventures en France ? Regagna-t-elle son lointain pays ?  On est là devant un grand mystère.

 

L’avènement de Philippe 1er

Voici donc sur le trône un petit garçon de huit ans. Le régent, Baudouin, comte de Flandre, veillait paternellement sur lui et le formait au cours de voyages incessants entre les rives de l’Escaut et celles de la Loire.

Dans le pays, ce n’était pas encore la sécurité, et les évêques avaient bien du mal à empêcher les seigneurs de se quereller pour un oui ou pour un non, voire de massacrer sur leur passage les récoltes, les bêtes et les gens. Mais la féodalité avait mis une sourdine à ses intrigues politiques. Le régent n’était pas contesté, tout juste avait-il à réprimer quelque agitation de seigneurs bourguignons. Les propriétaires de fiefs étaient bien trop occupés avec leurs propres problèmes.

Le goût des entreprises audacieuses était en train de transporter la jeunesse féodale. Le fils cadet de Baudouin de Flandre, Robert le Frison, cousin germain du roi de France donnait lui-même le ton. Il parcourait l’Europe, luttant en Galice contre les Sarrasins, essayant de se tailler une seigneurie en Macédoine, puis secourant, avant de l’épouser, la veuve du comte de Hollande, Florent 1er, en lutte contre des brigands…

Tout laissait à penser que l’on était à l’aube d’une grande époque, la population avait fortement augmenté, le commerce et l’agriculture étaient en plein essor comme en témoignait le développement des foires et des marchés, les routes étaient emplies de foules de toutes classes sociales se rendant en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle, à Saint-Martin de Tours, voire à Jérusalem et le royaume de Philippe 1er serait celui d’une pleine floraison économique, religieuse et artistique. Quelle exaltante mission pour ce jeune roi de quinze ans qui, désormais, allait exercer son pouvoir personnel !

Michel FROMENTOUX, membre du Comité directeur de l’Action Française

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