Ces lignes sont parmi les dernières écrites par le grand historien d’Action Française Jacques Bainville, de l’Académie Française. 

Louis XIV avait de l’intelligence et du caractère. Louis XV avait de l’intelligence et manquait de caractère. Louis XVI, avec toutes les vertus, avait une intelligence médiocre et il était indolent. On ne peut pas s’étonner que, malgré les meilleures intentions du monde, il ait perdu la monarchie.

Un hasard malheureux fit encore qu’il avait perdu son père, si bien qu’à Louis XV déjà vieilli succéda un jeune homme de vingt ans, très confit en dévotion, à qui l’on avait surtout appris que le grand-père menait une vie scandaleuse. On imagine bien que les filles du défunt roi avaient Madame du Barry en horreur. Elles avaient endoctriné leur neveu qui ne se contenta pas d’exiler la favorite mais qui se mit à défaire systématiquement tout ce que son prédécesseur avait fait.

Un de ses premiers actes fut de rappeler les Parlements orgueilleux qui tenaient tête à la couronne. Comprit-il très bien ce qu’il faisait ? c’est douteux. Il obéit surtout aux influences qui s’exercèrent sur lui. Mais, dès ses débuts, il s’enfonçait dans une contradiction insoluble et destinée à devenir mortelle. En effet il appelait au ministère un réformateur qui s’appelait Turgot, et les Parlements, défenseurs des droits acquis, s’opposaient à toutes les réformes. Pour réformer le royaume et supprimer les abus, il eût fallu que le roi agît par voie d’autorité. Il avait, d’emblée, entamé la sienne en rétablissant celle de ces magistrats qui s’étaient arrogé le pouvoir de repousser les lois qiu étaient contraires à leurs idées ou à leurs intérêts, bien que la puissance législative fût censée appartenir au souverain.

Combattu et paralysé par les Parlements, ne pouvant faire aboutir ses projets, Turgot dut se retirer. Entre son ministre et les magistrats, le malheureux Louis XVI avait dû choisir et ne pouvant plus revenir sur le mal qu’il s’était fait, ce fut le ministre qu’il sacrifia. Par une contradiction non moins absurde le public lui en fit le reproche, tandis qu’il applaudissait ces parlementaires privilégiés et défenseurs des privilèges qui parlaient un langage insolent et factieux et se présentaient comme les défenseurs de la liberté.

Dès lors Louis XVI s’épuisa dans la vaine recherche d’une amélioration impossible. Il y perdit peu à peu sa popularité. A la fin, impuissant devant les parlementaires unis à la noblesse et au clergé, il se résolut à sauter le grand pas et à convoquer les États Généraux, espérant trouver dans le Tiers État l’appui qui lui était refusé ailleurs.

C’est pourquoi il voulut que la représentation du Tiers État fût doublée. Mais le troisième ordre, ayant autant de députés que les deux premiers, demanda et devait demander à voter par tête. De plus le roi, pour faire entendre la voix de la bourgeoisie, avait invité tous ceux qui avaient des idées à les exposer librement. Ce fut une pluie d’écrits de toutes sortes parmi lesquels figura la célèbre brochure de Sieyès : «  Qu’est-ce que le Tiers État ? Rien. Que doit-il être ? Tout. ».

Louis XVI avait semé le vent. Il récolta la tempête et de plus, faisant ce qu’il avait déjà fait avec Turgot et avec le Parlement, au lieu de suivre la voie qu’il avait lui-même tracée, il vint se mettre en travers. Lorsque les députés du Tiers, forts de leur nombre et de l’autorité qu’il leur avait donné, voulurent transformer les États Généraux en assemblée, il prétendit de son côté maintenir la distinction des trois ordres, conformément aux traditions, aux usages et à l’ancienne constitution du royaume. C’est ainsi que de ses propres mains, Louis XVI fit la Révolution. Pouvait-elle être évitée ? Nous répondrons « Oui, certainement ».

La France avait besoin de réformes. Il fallait y procéder d’autorité et brisant les coalitions d’intérêt qui s’y opposaient. C’est ce que les rois de France avaient toujours fait, ce qu’avait fait encore Richelieu puis Louis XIV. Sans cela la monarchie n’eût pas duré aussi longtemps. Pour être un roi réformateur, il fallait être un roi autoritaire.

N’était-ce pas ce que la France attendait ? Le XVIIIe siècle, dans la personne du plus illustre de ses interprètes c’est à dire Voltaire, avait exalté des souverains qui étaient de purs despotes, comme Frédéric II et Catherine, mais qui imposaient le progrès par le despotisme.

Au fond les Français, en 1789, n’aspiraient pas à la liberté mais à l’égalité, qui en est d’ailleurs exactement le contraire. C’est si vrai que, dix ans plus tard, dix ans seulement, la dictature de Bonaparte était acclamée. Il était vraiment inutile pour en venir là, de mettre la France sens dessus dessous et de faire couler des torrents de sang. Avec des intentions excellentes, l’infortuné Louis XVI avait fait un mal immense. Il l’a expié si durement qu’on ne peut pas avoir la dureté de lui en vouloir. Mais il serait faux de voir en lui une victime de la fatalité.

Supposons un roi qui eût continué la politique commencée par Louis XV dans les derniers jours de son règne. On fût arrivé, sans bouleverser le pays et sans tout détruire, à un état des choses fort semblable à celui que créa le premier consul, lequel, du reste, rétablit et restaura une partie de ce qui avait été détruit dans l’anarchie révolutionnaire.

Finalement, Louis XVIII, qui était fort intelligent, prit la France telle que Napoléon l’avait laissée. Pour en venir là, il était bien inutile d’avoir fait couper la tête d’un roi, d’une reine et d’une quantité de braves gens sans compter tous ceux que vingt ans de guerre avaient tués.

Jacques Bainville, de l’Académie Française

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